Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Banque : l'étranglement

« Dépression », « déflation », « années 30 » : les banquiers, depuis quelques mois, ont peur de tout, sauf des mots. Normal, ce sont eux qui sont en première ligne de la crise des années 90, puisqu'elle est née des défaillances du système financier international.

La baisse de la Bourse, la chute de l'immobilier ont frappé de plein fouet les comptes des banques du monde entier. Devenues brutalement prudentes, elles distribuent leurs crédits avec parcimonie, cherchant les clients solvables. Résultat : l'économie est assoiffée et tire la langue. Les prêts continuent de croître, mais tout doucement : leur taux de progression était, en France de plus de 15 % par an à la fin des années 1980. Il n'est plus que de 5 % en 1992. Cette crise a un nom, c'est ce que les Américains appellent un « crédit crunch » (étranglement du crédit).

Prudence

Les ménages français ont répudié leur passion récente pour les cartes de crédit, les « revolving » et autres crédits à la consommation. Le taux d'épargne des ménages remonte : de moins de 11 % en 1987, il a atteint près de 13 % en 1992.

Robert Lion quitte en novembre son poste de directeur de la Caisse des dépôts et consignations qu'il occupait depuis 1982. Il a fortement contribué à moderniser cette puissante institution financière : le secteur « financement aux collectivités locales » a été filialisé sous le nom de Crédit local de France, et introduit en Bourse. La Caisse nationale de Prévoyance, leader de l'assurance-vie, est en train de subir une transformation similaire. Robert Lion a également fait jouer à la CDC un rôle d'actionnaire actif, en participant à la recomposition du capital d'Havas et au rapprochement des Wagons-Lits et d'Accor, sans parler de l'OPA manquée sur la Société générale.

La crise de l'immobilier est principalement à l'origine des difficultés des banques. Mais, leurs dirigeants le reconnaissent maintenant volontiers, elles ont été imprudentes pendant les années 1980, et ont manqué de discernement. L'immobilier flambait, les crédits bancaires aux promoteurs coulaient à flots. En France, le montant total de ce que doivent aux banques les professionnels de l'immobilier atteint près de 500 milliards de francs, soit un tiers du budget de l'État. Dans l'euphorie, on a oublié le vieil adage financier : « Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. » Tout le monde savait que le marché immobilier craquait en moyenne une fois tous les sept ans, mais personne n'a voulu croire au retournement. Il est pourtant arrivé. Les promoteurs se sont retrouvés avec des immeubles de bureaux sur les bras, incapables de les vendre à bon prix, incapables de rembourser leurs dettes. Les banques ont donc choisi, plutôt que de provoquer la faillite de leurs clients et de les forcer à vendre, d'amortir le choc sur plusieurs années. Elles ont « provisionné » leurs créances devenues douteuses, c'est-à-dire amputé leurs bénéfices pour se doter de matelas de sécurité.

Les résultats de la plupart des banques sont catastrophiques. Au premier semestre 1992, de très nombreux petits établissements (Duménil-Leblé, Bac, La Hénin...) affichent des pertes. Et les bénéfices de la plupart des grandes banques ont nettement reculé par rapport au premier semestre 1991 : – 13,4 % pour la BNP, – 15 % pour la compagnie financière de Paribas, – 84 % pour Indosuez, et même – 93 % pour le Crédit Lyonnais : ses bénéfices sont passés de 1,6 milliard de francs à 119 millions... Cette crise devrait durer : personne n'attend de reprise du marché de l'immobilier avant deux ans. En attendant, les banques serrent les dents, portent à bout de bras les promoteurs, font tout pour que les prix des immeubles ne s'effondrent pas plus, et compriment au maximum leurs coûts.

Chèques en bois : le 1er juin, une nouvelle loi entre en application. Elle a pour objet de limiter les « contentieux de masse » (plus de 60 000 jugements prononcés en 1990) par une « dépénalisation des chèques sans provision », et de responsabiliser les émetteurs (astreints à la régularisation sous peine d'exclusion bancaire pendant dix ans) ainsi que les banques qui devront systématiquement contrôler la situation de leurs clients.

Le patrimoine des Français

La dernière enquête du CERC, le Centre d'études des revenus et des coûts, montre que les traditionnels livrets d'épargne restent le placement préféré des Français, qui continuent aussi à investir dans leur logement et à préparer leur retraite. Mais le taux de détention des valeurs mobilières a progressé de 20 à 24 % entre 1986 et 1992 : 17 % des ménages possèdent désormais des sicav, contre 3 % en 1976 et 13 % en 1986.

Le dégraissage des effectifs s'est accéléré. Entre 1985 et 1992, les banques réduisaient doucement le nombre de leurs postes, sur un rythme de 1 % par an (ils sont passés, de mars 1985 à mars 1992, de 195 339 à 175 657). En 1992, le mouvement s'est amplifié, et certaines banques sont maintenant sur une pente de 1,5 %. Ce sont les petites banques qui ont commencé, vite rejointes par les grands établissements. La banque Paribas, la Société générale, la BNP, le Crédit Lyonnais ont annoncé une aggravation des plans de suppression de postes. La société bordelaise de CIC a même proposé une baisse des salaires pour « sauver 5 % des emplois ».

Service bancaire minimum

Le Comité des usagers (représentants des organisations des pouvoirs publics, des consommateurs et des banquiers) établit une charte visant à « éviter l'exclusion bancaire » et à garantir un service bancaire de base aux détenteurs de comptes « non rentables », comportant compte à vue et carte de retrait...

La tarification des services devient la règle. Les banques, pour limiter la chute de leurs bénéfices, n'hésitent plus à facturer les services rendus à leurs clients. Le compte chèque reste gratuit (c'est la loi), mais il existe mille et une façons de contourner l'obstacle. On augmente les frais de tenue de compte (75 francs dans certaines banques), le prix des cartes bleues, les droits d'entrée pour une sicav, les frais de garde (pour les titres) ou de change, etc. Désormais, on paye pour retirer des espèces au guichet d'une agence qui n'est pas la sienne ; ou pour pouvoir consulter son compte sur Minitel ; ou encore pour faire opposition à un chèque. Les banques se justifient en expliquant que globalement, ces augmentations de tarifs suivent le coût de la vie. Pourtant, selon une étude approfondie réalisée par des élèves de l'Ensae (École nationale de statistiques et d'administration économique), les tarifs des services augmentent de plus de 10 % par an. Pour une banque comme le CCF (qui affiche des résultats honorables en 1992), les tarifs ont progressé de plus de 50 % par an depuis 1986 ! Et la tendance, avec les progrès du marketing bancaire, ne fait que s'accentuer.

Pascal Riché