Économie mondiale : un bilan mitigé

La conjoncture économique mondiale sanctionne par la déflation des actifs immobiliers et financiers et par une faible croissance des pays industrialisés les excès et les imprudences commis dans la gestion financière des années 1980. Elle porte en outre la marque d'un événement singulier : la remise en cause du système monétaire européen. Dans le même temps, l'Asie Pacifique et la majorité des pays d'Amérique latine ont poursuivi ou entamé une ascension qui, si elle persiste, changera la physionomie du monde à l'aube du IIIe millénaire.

Langueur américaine, purge japonaise, rigueur allemande

Les États-Unis, qui conservent le record des niveaux de productivité du travail, sont sortis de la récession qui les avait atteints pendant six mois, à l'automne 1990 et au printemps 1991. Mais la reprise reste très en deçà des attentes : + 1,1 % pour le taux de croissance du PIB en 1991 et vraisemblablement moins des 2,5 % espérés pour 1992. Le troisième trimestre a amorcé toutefois une certaine reprise. Mais l'endettement des entreprises et des ménages reste lourd (145 % du PIB à la fin de l'été 1992 contre 110 % en moyenne entre 1973-1983) et lent à se résorber. Cette situation pèse sur l'équilibre des banques et des caisses d'épargne. Les institutions financières sont durement éprouvées par l'imprudence des placements qu'elles ont opérés dans l'euphorie des années 1980. Leur concentration et leur restructuration autour des banques les plus solides et les plus efficaces sont entravées par une législation désuète. En outre, les banques américaines, comme leurs consœurs des autres pays, doivent rééquilibrer leurs actifs de façon à respecter les ratios Cooke qui les contraignent à renforcer leurs capitaux propres. Dans un tel contexte, la masse monétaire s'accroît lentement : en dépit de la baisse des taux d'intérêts nominaux pratiquée par le Système de réserve fédérale, et de taux d'intérêts à court terme négatifs après déduction de l'inflation, les agents économiques empruntent peu, investissent moins encore et remboursent leurs dettes afin d'assainir leurs bilans. En revanche, la dette publique fédérale, en vive croissance, avoisine les 4 000 milliards de dollars et son service annuel coûte 200 milliards au budget. Elle contribue donc à aggraver un déficit public dont la maîtrise semble échapper aux autorités : les 3/5 des dépenses fédérales consistent en des dépenses à reconduction automatique dans leur principe telles que les dépenses de protection sociale ou de subventions aux agriculteurs. Aucune lumière n'est apparue dans le débat électoral sur la manière dont les deux principaux candidats comptaient s'y prendre pour réduire les besoins de financement du secteur public. Cette situation, jointe à la faiblesse persistante de l'épargne américaine, maintient les taux d'intérêt réels à long terme à un niveau encore élevé (supérieur à 4 %). L'investissement, les dépenses des particuliers en logements et en biens durables s'en trouvent affectés, de même que les emplois.

Les États-Unis tirent en revanche d'une inflation limitée (2,8 %) et de la chute du dollar à des niveaux très dépréciés un avantage à l'exportation qui contribue à soutenir la demande et à maintenir le déficit de la balance courante dans des limites tolérables (environ 50 milliards de dollars). Les exportations américaines et les productions concurrencées par l'étranger tirent avantage de cette subvention déguisée. Une telle sous-évaluation du dollar durcit la concurrence que les États-Unis font aux produits européens sur les marchés mondiaux.

L'économie japonaise souffre en partie des mêmes excès hérités du passé. Elle a connu un rebond au début de 1992 (+ 3,4 % en rythme annuel), vite étouffé au deuxième trimestre. L'assainissement du secteur financier oblige les banques à augmenter d'autant leurs provisions et réduit leurs capacités de prêt. Le Japon rentre cette année dans le rang : sa production industrielle a chuté dans les secteurs d'excellence – l'automobile, l'électronique – et dans le logement. La chute de l'investissement est d'autant plus dure que le Japon produit lui-même ses biens d'équipement en grande partie. En combinant l'inflation (2 %), la croissance (1,5 %) et l'excédent de la balance courante (+ 95 milliards de dollars), le Japon rétrograde, d'après The Economist en 5e position, juste devant la France mais derrière le Danemark, le Luxembourg, l'Irlande, la Norvège. Toutefois, c'est le seul pays industrialisé dont les finances publiques sont excédentaires. Cette marge de manœuvre (2,5 % du PIB) l'autorise à mettre au point un programme de relance. Mais, comme ce programme – salué par une interruption de la chute des cours à la Bourse à Tokyo – concerne les investissements publics, il n'aura que des effets limités et tardifs sur la consommation intérieure et donc sur les importations de ce pays. De surcroît, le montant de la dette intérieure restant élevé, les taux d'intérêt ne continueront de baisser que très lentement.