Le problème de l'adhésion, dont les répercussions industrielles sont énormes – on parle déjà d'avions entièrement assemblés par collage –, est voisin de celui du « mouillage », c'est-à-dire de la façon dont s'organise l'interface entre un liquide et un solide. Pierre-Gilles de Gennes, là encore, a su faire preuve d'imagination. Alors que personne ne voyait le moindre mystère dans une goutte d'eau posée à la surface d'un solide, il a montré que la goutte était en réalité entourée d'un film d'eau extrêmement mince et se propageant à grande vitesse. Ce curieux phénomène explique, entre autres, pourquoi les gouttes de rosée sur les toiles d'araignée ont tendance à se fondre les unes dans les autres.

Deux dernières applications, fort éloignées, montrent les enjeux de la recherche dans ce domaine. L'addition à l'eau d'une lance à incendie de quelques gouttes d'additif polymère suffit à doubler la portée du jet ! Les longues molécules de polymère, en effet, agglomèrent les molécules, d'eau qui n'ont plus tendance à former des gouttelettes et à déstabiliser le jet. Un nouveau type de cristal liquide, d'autre part, vient d'être découvert. Il avait été prévu il y a quelques années par P.-G. de Gennes, sur la base d'études théoriques comparant le comportement des cristaux liquides à celui des matériaux supraconducteurs...

Comment peut-on ainsi sauter d'un sujet à un autre ? « C'est un peu comme si vous étiez dans un verger », explique P.-G. de Gennes. « Il y a beaucoup de pommes à cueillir, mais il faut choisir celles qui ne sont ni blettes ni pas assez mûres. Ensuite, il faut construire l'escabeau pour les atteindre, et c'est là que réside toute la difficulté. »

Il est vrai que l'on ne passe pas du jour au lendemain de la physique des supraconducteurs à celle des cristaux liquides ou des colles, et que la curiosité d'esprit nécessaire n'est pas commune. À l'époque de la spécialisation à outrance, le seul fait qu'elle existe est en soi rassurant. Le triomphe de la matière molle est aussi celui d'une certaine façon d'aborder la recherche scientifique.

Nicolas Witkowski