L'accord définitif de coopération a été signé en septembre. Aucune firme européenne, y compris à travers ses filiales américaines, n'avait jamais pu participer à des recherches au sein de Sematech. Des grandes sociétés américaines, qui emploient des milliers de personnes en Europe, ont, il est vrai, beaucoup pesé en ce sens. C'est le cas d'IBM, qui emploie 100 000 personnes sur le Vieux Continent et qui entend pouvoir continuer à trouver localement des sources d'approvisionnement pour ses ordinateurs. L'intérêt du géant américain de l'informatique pour l'existence d'une industrie occidentale des composants l'a conduit à parrainer l'alliance Jessi-Sematech. Big Blue fait parallèlement son entrée dans plusieurs sous-programmes de Jessi, un projet censé initialement rehausser le niveau technologique de l'Europe en matière de semiconducteurs.

Mais IBM a également signé un accord de coopération avec l'allemand Siemens, l'un des trois fabricants européens de puces avec Philips et le groupe public franco-italien SGS-Thomson. Le groupe américain est en effet un grand fabricant de puces pour ses besoins internes. Il change aujourd'hui de stratégie en coopérant avec d'autres acteurs occidentaux. La future génération de mémoires dynamiques sera coproduite par les deux groupes, IBM et Siemens. Une alliance que Bruxelles aimerait voir étendue aux deux autres Européens, Philips et SGS-Thomson.

Ces coopérations, voulues généralement par les administrations ou le pouvoir politique, contrarient toutefois bien souvent les démarches spontanées des industriels. Tous les géants américains des puces, de Texas Instruments à Motorola, multiplient en effet les accords de partenariats avec leurs concurrents nippons ! Voilà des années que Hitachi et Toshiba sont à la fois les bêtes noires et les partenaires de leurs concurrents américains. Accusés de piller leurs brevets, les fabricants nippons de puces deviennent les partenaires obligés des Américains quand il s'agit, par exemple, de développer les circuits clés de la télévision haute définition japonaise.

Le consommateur échaudé

Pour l'heure, le Japon, avec 200 adeptes de la TVHD, n'a pas plus que l'Europe réussi à séduire le consommateur avec ces nouveautés aux prix encore prohibitifs. La TVHD japonaise, qui coûte encore la bagatelle de 150 000 F, est hors de portée d'un ménage nippon. La récession économique rend-elle l'utilisateur plus méfiant ? Toujours est-il que les consommateurs semblent plus suspicieux aujourd'hui qu'hier. La lenteur du démarrage de la nouvelle cassette audio-numérique – la fameuse DAT – en témoigne dans le domaine du son. Mais l'informatique a, elle aussi, échaudé ses partisans. Les sacro-saints systèmes ouverts existent davantage sur le papier que sur les rayonnages des revendeurs. Une foule d'associations de constructeurs aux sigles barbares (OSI, X-Open, OSF, ACE, etc.) y travaille pourtant d'arrache-pied depuis des mois, voire des années. Mais cela n'a pas empêché le magazine américain Business Week de faire un malheur au printemps dernier avec une couverture intitulée « Computer confusion ». Jamais il n'a été plus difficile au vulgum pecus de choisir un ordinateur. Faisant hier une confiance aveugle à IBM, il doit aujourd'hui choisir son processeur, son système d'exploitation, ses logiciels, ou encore son « bus », c'est-à-dire le mode d'organisation interne à la machine. Des choix qui nécessiteraient, pour bien faire, un diplôme supérieur d'électronique !

L'attentisme du client surprend les fabricants en mal de débouchés. Un véritable boomerang qui risque fort de se transformer en coup de grâce pour les plus fragiles d'entre eux. Une chose est pourtant sûre : la gravité de la situation de l'électronique et son importance stratégique mériteraient une conjugaison des mobilisations publiques et privées que, pour l'instant, l'Europe parvient bien mal à mettre en œuvre. Moins bien en tout cas que ses rivaux américains et surtout japonais.

Blandine Hennion
Collaboratrice de Libération, du Matin de Paris, du Moniteur des travaux publics, Blandine Hennion est spécialiste de l'électronique à la Vie française, à la Tribune de l'économie et aux Échos.