Allemagne : l'unification et après

À la fin de l'année 1990, l'unification politique et économique de l'Allemagne était un fait accompli. Se posait alors la question de l'assimilation de sa partie orientale et celle de l'intégration de l'ensemble dans l'Europe communautaire.

Si la révolution de la liberté en Pologne, puis en Hongrie, a engendré l'unité de l'Allemagne, c'est l'ouverture du Mur qui aura marqué le commencement de la fin de la RDA.

Même si Hans Modrow, successeur d'Egon Krentz à la tête du gouvernement est-allemand, pensait avec les intellectuels de gauche de RDA mais aussi de RFA et les milieux ecclésiastiques protestants que, grâce à l'« identité allemande », on pourrait maintenir la RDA dans le cadre d'une confédération, cette identité n'a guère pesé face à la vague de fond qui poussait les Allemands de l'Est vers la République fédérale. Très vite, l'État est-allemand, privé du soutien soviétique (sa seule « légitimité »), s'est fissuré comme le Mur ! On fixa des élections ; il fallut les avancer car, dans cette situation équivoque, les habitants de l'Est continuaient de fuir à l'Ouest trois fois plus rapidement qu'avant le mois d'août 1961, époque à laquelle fut entreprise l'érection de la muraille.

Entre l'Est et l'Ouest

Les résultats du scrutin du 18 mars furent éloquents : le peuple voulait l'unité et rejetait le socialisme sous quelque forme que ce fût, y compris sous celle du socialisme démocratique révisé proposée par un certain nombre de protestants. La « nouvelle couche moyenne salariée », qui représente près de 40 % de la population de la RDA, refusait les analyses néomarxiennes des intellectuels et des pasteurs de gauche. En donnant la majorité absolue à l'alliance CDU-CSU-FDP (chrétiens-démocrates et libéraux), les élections du 18 mars le montraient.

Dès lors, l'unité était en marche. L'unité économique autour du DM était réalisée le 2 juillet et l'unité politique devenait un fait accompli le 3 octobre. Mais cette Allemagne nouvelle devait régler plusieurs problèmes, parmi lesquels celui de ses rapports avec l'URSS et celui de ses relations avec la Communauté européenne.

Le risque de dérive à l'Est au sein d'une Europe neutralisée était bientôt écarté ; mais le traité de bon voisinage signé à Bonn le 9 novembre contenait une clause de non-agression et, surtout, de non-assistance à un agresseur éventuel de l'une ou l'autre partie que l'on ne retrouve pas dans le traité du même type signé au même moment entre la France et l'URSS. La coopération économique a occupé une bonne part des entretiens de Bonn, mais il n'y a pas eu de précisions nouvelles sur la manière dont l'URSS et l'Allemagne entendaient s'y prendre concrètement pour la mettre en pratique.

Si le glissement à l'Est est exclu, demeure le risque d'une Europe allemande. Avec ténacité et courage, l'Allemagne fédérale a su reconstituer une économie qui est vraisemblablement aujourd'hui la troisième du monde après celles des États-Unis et du Japon, devant celles de l'URSS et de la France. Sa politique de reconstruction industrielle et son système économique fondé sur les principes démo-chrétiens de l'économie sociale de marché ont fait de la RFA une puissance économique de premier ordre dont la monnaie assure la solidité, aidée, il est vrai, par le poids de multinationales qui, dans trois domaines au moins − l'électronique, la chimie et la construction automobile −, sont au tout premier rang mondial. De surcroît, depuis près de 25 ans, l'Ostpolitik a renforcé la présence de l'économie allemande en Europe de l'Est, en particulier dans les régions danubiennes, où la RFA s'est peu à peu assuré une position commerciale dominante.

Un nain politico-militaire

Dans ces conditions, l'Allemagne unie risque de peser lourdement sur la politique de la CEE et même − disent certains − de la contrôler. Toutefois, lorsqu'on porte ce jugement, on oublie un certain nombre d'éléments. L'Allemagne unie de 1990 pèse ainsi infiniment moins lourd que l'Allemagne de 1937 en face de la France et de la Grande-Bretagne de l'époque. Alors qu'en 1990, le PIB de la Communauté a été de l'ordre de 5 000 milliards de dollars, c'est-à-dire à peine inférieur à celui des États-Unis (5 200 milliards) et très supérieur à celui du Japon (2 900 milliards), l'État allemand unifié ne pèse « que » 1 200 milliards. La France étant à 950 milliards, la Grande-Bretagne à 830 et l'Italie à 800, il y a donc quasiment équilibre.

Le second élément que l'on néglige est le coût de la remise à flot de la RDA. Avant le 2 décembre, la Bundesbank faisait varier ses évaluations entre 250 et 500 milliards de DM, tandis qu'Oskar Lafontaine, alors chef de file de la CSU, parlait de 500 à 600 milliards... ; mais ce sera sans doute davantage. Le paiement des seules retraites de la RDA coûtera environ 2 milliards de DM par mois et les indemnités accordées aux chômeurs de 3 à 5 milliards, selon qu'il y en aura 1 500 000 ou 1 800 000. La reconstruction des réseaux de communication est estimée à 500 milliards de DM ; la restructuration de l'agriculture et de l'industrie et la réhabilitation de l'habitat à environ autant. À terme, tout cela renforcera indubitablement le nouvel État allemand ; mais, pendant cinq à dix ans, cela va coûter très cher et freiner sensiblement les autres investissements − en particulier, le développement des technologies de pointe − et risque de limiter l'essor allemand.