La politique régionale

Après plusieurs années d'incertitude et de léthargie, l'aménagement du territoire a retrouvé en 1990 un élan incontestable tandis que les collectivités locales continuaient à prendre une importance croissante.

L'aménagement du territoire

Deux événements sont venus ponctuer le renouveau qu'a connu l'aménagement du territoire cette année. Il s'agit d'abord du débat, organisé à l'Assemblée nationale le 29 mai, qui a fait ressortir une volonté quasi unanime des députés (45 orateurs se sont exprimés à la tribune) de redonner du souffle à cette politique entamée il y a plus de 25 ans ; l'autre point fort a été le comité interministériel du 5 novembre, présidé par Michel Rocard, au cours duquel des mesures concrètes ont été prises et tracées des orientations d'avenir.

Des inégalités d'avantages

L'année, pourtant, n'avait pas très bien commencé. Un rapport, commandé par la DATAR au cabinet international d'audit Peat Marwick, avait montré que, dans les stratégies d'implantation de leurs états-majors en Europe, les grandes firmes internationales américaines et japonaises préféraient Bruxelles, Londres, voire Amsterdam, à Paris. Sur 803 quartiers généraux américains recensés en Europe en 1989, et 146 Japonais, la Grande-Bretagne (332) et la Belgique (196) sont les pays qui profitent le plus de la croissance rapide de ce marché de « matière grise », alors que la France n'en compte que 99. Les dirigeants des multinationales n'ont pas encore le sentiment que la France s'est totalement affranchie de ces règlements administratifs tatillons qui effraient tant les milieux d'affaires étrangers, ainsi que d'une fiscalité trop lourde et obsolète.

À la tête même de la DATAR, la concurrence et la confusion ont semblé un moment s'installer. Jean-Pierre Duport avait été nommé délégué à l'aménagement du territoire en octobre 1989. Il s'entoura d'un directeur, M. Guy-Noël Lebel, au début de janvier 1990. Mais, deux semaines plus tard, l'Élysée imposait à Jacques Chérèque, ministre délégué chargé de l'Aménagement du territoire et des Reconversions, un second directeur (ce qui ne s'était jamais vu) en la personne de M. Jean-Louis Guigou, universitaire, dont l'épouse Élisabeth est, depuis l'automne, ministre des Affaires européennes. On a pu alors parler de l' « armée mexicaine » de la DATAR, encombrée de chefs.

Le ministre lui-même n'était pas au meilleur de sa forme en ces premiers mois de 1990. Le budget qui lui était alloué était vraiment malingre. Et puis Michel Rocard, en prenant directement en main (du moins l'affirmait-il) le dossier de l'Île-de-France et la procédure de révision du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme, dépossédait Jacques Chérèque d'un enjeu et d'une carte déterminants dans toute politique nationale d'aménagement. Comme si, de l'escarcelle du ministre du Travail, on avait retiré la politique de création d'emplois pour ne lui laisser que la lutte contre le chômage...

Le vent d'optimisme s'est mis à souffler fin mai après le débat (réussi, bien que Michel Rocard n'ait pas jugé bon d'y participer) au palais Bourbon. Les députés ont eu la sagesse de laisser à l'écart des considérations purement locales ou catégorielles (« mon » autoroute ici, « mes » agriculteurs de montagne là, « mon » usine sidérurgique qui risque de fermer). Jacques Chérèque a parlé de justice territoriale, de conciliation d'une politique forte de l'État avec les acquis irréversibles de la décentralisation, de vision européenne. Vis-à-vis des régions handicapées par la géographie, l'histoire et l'économie, il a eu cette phrase-choc : « À des déséquilibres trop profonds il faut répondre par des inégalités d'avantages. » C'est exactement la définition d'une politique volontariste de rééquilibrage que seul l'État, en dernier ressort, peut imposer. Sans pour autant priver les zones dynamiques de leurs ressorts de croissance, et c'est là que l'exercice, précisément, est difficile.

Abraham Lincoln déclarait déjà, au siècle dernier : « Vous ne pouvez pas donner la force au faible en affaiblissant le fort, vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche. » Et il est bien vrai que, sous prétexte de soutenir Longwy ou la Creuse, il serait dommage de sacrifier les chances de l'Île-de-France ou de Rhône-Alpes confrontées de plein fouet à leurs puissants rivaux que sont les métropoles (qu'on appelle les « Eurocités ») de Londres, Bruxelles, Francfort, Milan ou Barcelone.

Du touche-à-tout

C'est le 5 novembre que l'heure de la relance de la politique régionale a officiellement sonné à Matignon. Le cadre financier était déjà tracé. Dans le projet de loi de finances pour 1991, Jacques Chérèque voit ses crédits augmenter de 27 %, en autorisations de programmes, ce qui n'est pas négligeable. Les primes d'État destinées à attirer en France les grands investissements productifs, surtout étrangers, augmentent même de 120 %. Autre innovation : devant le risque croissant d'une marginalisation économique et démographique de plus de 20 départements ruraux, une enveloppe de quelque 100 à 150 millions de F (qui sera gérée par les préfets et qui pourra être abondée par les budgets des régions) a été dégagée pour favoriser les petits projets industrialo-artisanaux, créant chacun au moins vingt postes de travail « à la campagne », comme, par exemple, sur le plateau de Millevaches, les vallées reculées des Cévennes ou des Pyrénées.