Panorama

Introduction

L'année sans pareille : ainsi les historiens ont-ils baptisé 1789, l'année de la Révolution française, au moment où la France célébrait son Bicentenaire par un grand défilé multicolore et pluriethnique sur les Champs-Élysées. Deux siècles plus tard, l'Europe a vécu à son tour une année sans pareille, qui clôt pour elle un xxe siècle qui fut lourd à porter et ouvre les chemins d'un xxie siècle placé sous le signe de ce que la Révolution de 1789 eut de meilleur : la conquête de la liberté et l'irruption de la notion de droits de l'homme. Si bien qu'en présentant ses vœux à la nation au soir du 31 décembre 1989, le président de la République, François Mitterrand, a pu faire l'inventaire de toutes les questions qui se trouvent désormais posées et dont les réponses déterminent la vie des Français pour les années qui viennent : celle de la survie ou non des alliances militaires qui partageaient l'Europe en deux camps, celle du niveau souhaitable de désarmement sur ce même vieux continent, celle des contours politiques de cette Europe qui, en quelques mois, est « sortie de Yalta » et va décider de sa place dans le concert des grandes puissances.

Le retour de l'histoire

Curieux destin que celui d'un homme, François Mitterrand, qui joue ainsi tout à la fois sa « trace » dans l'histoire, le sens de son second septennat et le destin du pays dont il a la charge, alors qu'il s'apprêtait à une gestion paisible et dépassionnée des affaires publiques.

Car, vue de France, 1989 restera une année clef : celle du retour de l'histoire, et de l'irruption de problèmes de société qui peuvent remettre en cause les fondements mêmes du consensus républicain.

L'histoire ? Le pays en était sorti, au fond, depuis 1962 et la fin de la guerre d'Algérie. Quels qu'aient pu être le talent du général de Gaulle, dont le verbe fit penser aux Français qu'ils appartenaient encore à un grand pays, et l'habileté du président Mitterrand, qui tentèrent de leur faire croire qu'ils étaient, précisément, encore dans l'histoire, il était clair, pour l'opinion, que la France ne pourrait se perpétuer que si elle acceptait de se fondre dans un ensemble plus vaste – la Communauté des Douze –, seul capable de rivaliser avec les États-Unis, l'URSS, la Chine et surtout le Japon. En quelques mois d'un automne flamboyant, à mesure qu'une à une les démocraties dites populaires le devenaient enfin et se libéraient du joug du parti unique, la France a repris toute sa place et se trouve confrontée à des choix qui engagent pour longtemps son devenir. Bien que sous le choc de la révolution roumaine et sollicités par ceux qui, dans l'opposition notamment, ont tenté de récupérer l'émotion provoquée en France par la chute de Nicolae et Elena Ceausescu, les Français auront certainement l'occasion de réaliser que la fin du mur de Berlin et l'ouverture de la porte de Brandebourg, la marche forcée du chancelier Kohl vers l'unité allemande et surtout son refus de reconnaître la frontière Oder-Neisse (qui sépare l'actuelle RDA de la Pologne) sont pour eux des événements d'une extrême importance et qui expliquent la démarche des dirigeants français, tout entière tournée vers le binôme réunification de l'Allemagne-accélération de la construction européenne.

Car deux questions ont dominé et vont continuer de dominer la scène française : comment répondre à la demande des pays de l'Est qui se libèrent ? Comment continuer de faire vivre la construction européenne? Un débat existe, sur ces sujets, entre, d'un côté, les tenants d'une vision néolibérale selon laquelle, la réunification allemande étant en marche, il faut cesser de s'accrocher à l'Europe des Douze et lui préférer un ensemble plus vaste et plus lâche, une grande zone de libre-échange en quelque sorte, et, de l'autre côté, la démarche obstinée, voire opiniâtre, du président français qui cherche à préserver la CEE et à accélérer son processus d'unification. Pour François Mitterrand, en effet, faire entrer les sept pays de l'Est européen dans la Communauté sonnerait le glas de celle-ci, au moment où son existence même est mise en cause par la politique allemande. Mieux vaut donc bâtir avec eux des programmes bilatéraux et donner un contenu permanent à la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) qui réunit déjà l'Est et l'Ouest européens pour associer les nouveaux venus dans la sphère démocratique sans casser le moteur de la construction européenne et sauver ainsi une Communauté qui, dans un univers devenu instable, constitue un formidable pôle d'attraction et de progrès.

Fédération et confédération

Déjà, l'Amérique, avec la « doctrine Baker » visant à rapprocher de façon organique les États-Unis et la CEE, mais aussi l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, qui s'adresse à elle à travers son projet de « maison commune », et les pays du Sud, qui craignent de voir l'aide européenne leur échapper, ont intégré dans leur comportement l'idée d'une Europe forte. Cette donnée-là, qui est au cœur de la vision française, continue de s'imposer malgré l'hypothèque allemande. Pour tenter de surmonter celle-ci, le président français a proposé, au soir du 31 décembre, qu'aille de pair la mise sur pied d'une fédération européenne – celle des Douze – et d'une confédération, entre les Douze et tous les autres, URSS éventuellement comprise.