Le marathon électoral français

Une gauche en quête d'union, une opposition modérée en crise d'identité : la bipolarisation est remise en question ; mais, surtout, la montée des abstentions met en péril la démocratie. Et l'Europe sert d'alibi aux jeux de la politique intérieure.

Entamé le 24 avril 1988 avec le premier tour de scrutin pour la désignation du président de la République, le plus long marathon électoral qui ait jamais été imposé aux citoyens français n'a pris fin que le 24 septembre 1989 avec le renouvellement triennal du tiers sortant du Sénat.

Cet appel aux urnes à répétition avait lassé les électeurs et désorienté les hommes politiques. Les premiers s'étaient réfugiés dans l'abstention qui avait atteint le taux exceptionnellement élevé de 62,96 % le 6 novembre 1988, lors du référendum sur la Nouvelle-Calédonie ; les seconds tentaient d'interpréter le message ambigu que leur avait délivré le peuple français en accordant, le 8 mai 1988, un second septennat à François Mitterrand, mais en refusant de donner, les 5 et 12 juin, à ses partisans à l'Assemblée nationale la majorité absolue qui aurait permis au chef de l'État de légiférer sans risque ni compromis.

La gauche en quête d'union

La proximité de l'échéance des municipales, fixées de longue date aux 12 et 19 mars 1989, ne leur en laissa pas le loisir. L'occurrence était particulièrement difficile pour les dirigeants socialistes, qui avaient pourtant remporté les deux dernières consultations électorales. Conscients de l'irrésistible déclin du parti communiste qui ôtait à l'Union de la gauche tout espoir d'obtenir la majorité absolue des suffrages, la plupart d'entre eux, à commencer par le Premier ministre, Michel Rocard, étaient partisans d'une « ouverture au centre » à caractère compensatoire.

Préconisé déjà en mai 1988 par le chef de l'État, ce renversement des alliances avait, certes, été accueilli favorablement par quelques responsables centristes ; mais, à en juger tout au moins d'après le résultat des législatives partielles, les électeurs n'avaient pas suivi. Et il avait fallu attendre le 29 janvier 1989 pour que l'homme nouveau de la majorité présidentielle, Bernard Tapie, réussisse à arracher, avec une étroite marge de 623 voix, le siège de la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône que détenait jusqu'alors l'UDF Guy Tessier.

Cette « embellie marseillaise » n'était pas suffisante pour convaincre la direction du PS, et son premier secrétaire, Pierre Mauroy, de changer de stratégie. Inébranlablement fidèle à celle de l'Union de la gauche, ce dernier avait ouvert des négociations avec le PCF, dès le 26 octobre 1988. Mais il s'était aussitôt heurté à la méfiance des dirigeants de la place du Colonel-Fabien qui n'avaient pas oublié que leur alliance avec le PS avait accéléré l'hémorragie de leurs voix.

Après avoir remis en cause un premier accord, celui du 12 janvier, puis un second, celui du 3 février, ils acceptèrent pourtant de conclure in extremis le compromis du 17 février, permettant la constitution de listes communes socialo-communistes dans 63 % des villes de plus de 30 000 habitants. En revanche, des primaires devaient être organisées dans 37 % d'entre elles, soit parce que le parti socialiste avait fait alliance avec des candidats du Centre, soit parce qu'il avait revendiqué la tête de liste dans des municipalités à direction communiste, mais où les élections présidentielles et législatives de 1988 avaient révélé qu'il était devenu la force politique de gauche la plus importante. Et, cela, le PCF ne pouvait l'admettre.

Divisions internes

Avec un taux de près de 95 % de listes communes dans ces mêmes villes de plus de 30 000 habitants, l'opposition avait fait mieux. En agissant plus tôt et plus vite, elle avait surpris l'opinion publique qui ne croyait pas qu'elle puisse atteindre un tel résultat après son échec lors de l'élection présidentielle de 1988. Certes, celui-ci avait nourri bien des rancœurs et suscité des différences d'interprétations au sein des deux formations politiques qui la composaient. Pire : l'une d'elles, l'UDF, paraissait même menacée d'éclatement par la constitution, sur ses marges et à ses dépens, du groupe parlementaire de l'UDC, qui rassemblait des élus du centre gauche dont on pouvait penser qu'ils rallieraient la majorité présidentielle dans un avenir plus ou moins lointain.