Les grandes heures de l'architecture

Le 14 juillet, les wagons des grands projets parisiens ont défilé derrière la locomotive de Jean-Paul Goude. L'architecture ne fait pas toujours beaucoup de bruit, mais les architectes commencent à faire parler d'eux.

À Paris, les fêtes du bicentenaire de la Révolution française furent aussi celles de l'architecture. La semaine d'apothéose, autour du 14 juillet, fut en effet saluée par toute la série des inaugurations des grands projets lancés, au début de son premier septennat, par le président de la République. À l'occasion, il avait convié les chefs des États les plus puissants de la planète, pour un sommet qui finit par prendre le nom de l'endroit où il se tint, l'Arche de la Défense.

À la Défense, le toit du monde

Il n'y avait sans doute pas de meilleure manière de célébrer ce nouveau monument posé sur le grand axe de l'Ouest parisien, ce diadème qui orne maintenant le quartier d'affaires déjà ancien de la Défense. L'État seul pouvait, toutes révolutions bues, oser s'y manifester. Il avait pourtant longuement hésité. Comme si l'horizon, au-delà de l'Étoile, ne pouvait plus appartenir qu'au soleil. L'État avait pourtant sollicité toutes sortes de talents, au fil d'une multitude de concours aux propos contradictoires. Jusqu'à ce qu'enfin le tabou fut levé, et qu'un Robert Lion, d'un mémorable article, condamnât les « Sam' suffit » de la Défense. Celle-ci pouvait relever la tête, quitte à être vue depuis les Champs-Élysées. Le concours lancé en 1983 fut le bon, qui désigna le projet d'un Danois inconnu, Johann Otto von Spreckelsen. Un cube évidé, de cent mètres de côté, qui se présentait comme une « nouvelle arche de triomphe de l'humanité ».

Ce fut ainsi une affaire d'État rondement, ou plutôt carrément menée, pour peu que l'on oublie la parenthèse de la cohabitation politique, qui malmena son programme. L'Arche fut, en quelque sorte, privatisée. Elle perdit le centre de communication qui était son prétexte, faillit céder l'usage de ses sous-sols, et dut ingérer davantage de bureaux que prévu. Spreckelsen résista mal à ce qu'il jugeait comme une désagréable intrusion dans ses propres affaires. Il démissionna, et perdit la vie. Son œuvre fut menée à terme par l'associé avec qui il avait dû cohabiter, Paul Andreu, l'homme des aéroports de Paris, l'auteur de Roissy. Curieusement, le décès de Spreckelsen servit son œuvre : les consignes qu'il avait laissées furent respectées scrupuleusement, comme les clauses d'un testament.

Mais qu'importent ces accidents ? Qu'importe que l'Arche ne cèle en ses parois que de tristes bureaux ? Elle est avant tout un objet qui se donne à admirer, le cadre généreux d'un tableau où le feston de ses « nuages », ce dais qui flotte sur son socle et qui joue avec la verticale, aéré du tricotin des câbles qui enserrent ses ascenseurs, semble dressé pour d'improbables fêtes, ou un fugitif sommet. Son toit y dominait le monde, comme elle domine l'axe de Paris, avec révérence, d'une légère inclination, comme avec réserve.

À l'autre bout de l'axe, à sa naissance, la pyramide de Ieoh Ming Pei lui répond d'une même inclinaison. Celle-ci est au centre de gravité d'un nouvel ensemble, le manifeste d'un équilibre rendu possible par le départ du ministère des Finances de l'aile Richelieu, qu'il occupait jusqu'alors.

Le sceptre des Finances

Les finances sont donc allées aux Finances. Si les Sept y tinrent conseil, Bercy n'eut pas droit à une inauguration. Curieuse discrétion pour un bâtiment qui en manque... Mais ce n'est pas là le moindre de ses paradoxes, qu'il accumulerait plutôt, comme il accumule les mètres carrés. Ainsi ne fut-il que tardivement baptisé « grand projet », et n'acquit-il encore ce titre que par l'entraînement mécanique qui enchaînait son sort à l'opération Louvre. Ainsi sa monumentalité, qui annonce l'édifice public, quand il n'admet pas de visiteurs, si ce n'est sous leur forme de contribuables. Ainsi encore son implantation, sa prise de la Seine à la hussarde, qui ne remua qu'une faible indignation.