Journal de l'année Édition 1990 1990Éd. 1990

Point de l'actualité

L'Opéra Bastille

La naissance du nouveau théâtre parisien voué à l'art lyrique est décidément bien difficile. La reconsidération du contrat passé en mai 1988 entre Daniel Barenboïm et l'Association pour la préfiguration de l'Opéra Bastille est à l'origine du litige qui amena Pierre Bergé à déclarer vacant le poste occupé par le célèbre chef d'orchestre. Le président de l'Association des théâtres de l'Opéra de Paris désirait en effet négocier un nouveau contrat sur les bases d'une rémunération et de responsabilités réduites. Il souhaitait ramener à 4 millions par an les 6 950 000 F initialement prévus et faire partager les pouvoirs du directeur artistique par le directeur général de la Bastille. Il voulait d'autre part que la programmation envisagée soit mieux en accord avec la politique fixée en 1982 par la « Mission de l'Opéra Bastille » présidée par François Bloch-Lainé.

Cette querelle, qui entraîna par ailleurs la démission ou le retrait de personnalités artistiques influentes, est d'autant plus regrettable qu'elle apparaît comme le fruit de la remise en cause permanente que subit le projet depuis sa mise en chantier. Pourtant, la décision de construire l'Opéra de la Bastille a été prise afin de doter Paris d'une salle de 3 000 fauteuils (contre 1 991 au Palais Garnier) permettant – par sa fréquentation massive – d'augmenter les recettes de l'art lyrique sans élever les prix des places. Cette solution devait permettre de résoudre l'équation qualité/quantité/rentabilité.

Mais construire l'Opéra de l'an 2000 ne va pas sans poser quelques problèmes. Les plans de l'architecte canadien Carlos Ott une fois acceptés, construction et administration n'en finirent pas d'éprouver les vicissitudes de la vie politique. Le Conseil de Paris approuva définitivement et à l'unanimité le projet en 1984, mais, dès l'année suivante, l'intégralité du programme fut remise en question pour des raisons financières. Le gouvernement de Jacques Chirac menaça même le projet d'abandon. François Léotard, ministre de la Culture, le « sauva » in extremis, à l'instigation du directeur de la musique, Maurice Fleuret. En 1987, François Mitterrand visita le chantier et rétablit le programme initial. Daniel Barenboïm fut nommé directeur musical et artistique et Pierre Vozlinski, directeur général.

Jugée trop opposée à la politique fixée par la Mission de l'Opéra Bastille, la programmation de leur première saison lyrique fit l'objet de litiges provoquant le licenciement du directeur général en mai 1988. Pierre Bergé fut alors appelé à la présidence de l'Association des théâtres de l'Opéra de Paris en août. Il nomma René Gonzalez directeur de l'Opéra Bastille, puis Dominique Meyer, directeur général des théâtres de l'Opéra de Paris. Il proposa également à Daniel Barenboïm la renégociation du contrat qu'il avait passé avec l'Association de préfiguration. Leurs pourparlers n'aboutirent pas, et le chef d'orchestre quitta l'Opéra de la Bastille le 13 janvier 1989. En mai, Pierre Bergé nomma alors directeur musical, un jeune chef coréen, Myung Whum Chung, élève de Carlo Maria Giulini, peu connu du grand public français.

La fin du gros œuvre de la grande salle, qui date de novembre 1987, a permis la mise en place des équipements scéniques en 1988, ce qui devait être fait afin de pouvoir inaugurer les lieux en juillet 1989, dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution. Le début de la première saison lyrique était prévu pour mars 1990. Mais René Gonzalez abandonna ses fonctions aussitôt après l'inauguration ; Georges-François Hirsch, directeur du Théâtre des Champs-Élysées, accepta alors le poste d'administrateur général en septembre.

La vocation de l'Opéra de la Bastille a exigé de l'architecte la conception de bâtiments permettant de donner et de répéter plusieurs spectacles. Cette capacité d'alternance inégalée en fait un théâtre moderne, ouvert à une quantité importante de spectateurs, mais en fait-elle pour autant le théâtre populaire qui était souhaité ?

Catherine Michaud-Pradeilles