Actuellement, les experts et les directeurs de galeries cachent mal leur inquiétude. Le marché est à la merci d'une crise financière ou politique ; d'un retrait de toute une catégorie d'acheteurs, comme cela s'était produit avec les Japonais au moment du choc pétrolier de 1973/1974, lorsque les tableaux modernes avaient baissé de 30 à 50 %. On se souvient de la leçon ; aux tarifs d'aujourd'hui, la chute serait beaucoup plus rude.

Dans l'immédiat, la surchauffe du marché a une conséquence fâcheuse : la prolifération des faux. Là où il y a perspective de profit, le faussaire n'est jamais très loin, et les vocations sont nombreuses. Selon leur degré d'optimisme, les observateurs du marché estiment entre 20 % et 40 % la proportion de faux dans les ventes de tableaux modernes. Si Legros appartient au passé, les habiles copistes ne manquent pas, et la tâche est d'autant plus facile qu'ils s'adressent à des non-connaisseurs achetant souvent sur catalogue, sans même avoir vu les tableaux. La question ne se pose guère sur les tableaux vedettes à plusieurs dizaines de millions, des œuvres connues sur lesquelles il est difficile de tricher, mais sur nombre de peintres du xxe siècle (même vivants) répétitifs et « commerciaux », dont la cote tourne autour de 300/800 000 F (Vlaminck, Utrillo et bien d'autres...).

Affaires d'État

Autre problème posé par l'envolée des prix : celui de la conservation du patrimoine, qui est bien illustré par la valse-hésitation des Noces de Pierrette.

Dans un premier temps, Jack Lang envisageait d'en interdire tout simplement l'exportation, ce qui faisait baisser de 30 à 60 % l'estimation du tableau. Coup rude pour le marché parisien qui comptait bien sur Pierrette pour redorer son image ! Et cruel dilemme pour le ministre qui a alors recours à un système contestable mais coutumier dans ce genre d'affaires : le bakchich artistique (« Je te laisse sortir ton Picasso, mais en échange tu me fais un petit cadeau. »). En l'occurrence un autre Picasso, La Célestine, acquis pour la circonstance auprès d'une galerie parisienne, pour 100 millions, ira prochainement prendre place sur les cimaises de l'hôtel Salé. C'est la licence d'exportation qui est salée ; le système est pratiqué depuis longtemps, mais c'est la première fois qu'il l'est au grand jour.

Cette question de la libre circulation des œuvres va se poser bientôt dans le cadre de la CEE. Comment harmoniser les législations des pays membres : celles, ultra-protectionnistes, des États méditerranéens et les systèmes, plutôt libéraux, de l'Europe du Nord ? La France, avec son droit de préemption et d'interdiction exceptionnelle d'exportation, représentant un moyen terme, et finalement un des moins mauvais, malgré son côté incertain.

Les rapports de l'art et de l'État ont d'ailleurs été souvent évoqués au cours de l'année. Pas toujours en bien. L'État, prompt à punir par des redressements fiscaux et force amendes les antiquaires fraudeurs, ne fait pas toujours preuve du même souci de probité quand il agit pour la noble cause de l'enrichissement du patrimoine. Dans l'affaire Canson, par exemple, les musées, en se portant acquéreurs d'un tableau volé, ou du moins illicitement détenu, sont devenus receleurs... en connaissance de cause semble-t-il. L'affaire n'est pas jugée, mais elle a fait la une des journaux à plusieurs reprises.

Le particulier ne part pas forcément perdant en intentant un procès à l'État. L'affaire du Poussin Saint-Arroman a trouvé voici un peu plus d'un an son épilogue. Ce tableau mythologique, attribué à Poussin par les uns, contesté par les autres, avait été acquis en vente publique par le Louvre, comme École des Carrache, pour la somme de 2 200 F en 1968. Il trônait quelques mois plus tard dans une salle du musée avec l'étiquette Poussin. De procès en appel, de cassation en annulation, les vendeurs ont finalement obtenu au bout de 20 ans la restitution de leur tableau qui, replacé dans une vente aux enchères, est monté cette fois jusqu'à plus de 8 millions de francs, au profit d'un acheteur étranger. Mais c'était la première fois que l'on voyait sous le marteau des enchères un tableau du musée du Louvre !

L'attrait du neuf

C'est nouveau, ça vient d'être fait ; et parfois même ça se fait sous vos yeux ! La ruée vers l'art contemporain est l'un des plus remarquables phénomènes de société actuels. Traduit en chiffres, par exemple, par le succès sans précédent de la FIAC 1989 (la Foire Internationale d'Art Contemporain du Grand Palais) : 140 000 visiteurs, 5 000 œuvres vendues sur les 7 000 exposées, et un chiffre d'affaires de 400 millions de francs, qui double carrément celui de 1988. Cet irrésistible engouement pour la création contemporaine se manifeste aussi dans les ventes aux enchères. À New York, l'art actuel représente plus de 10 % du chiffre des ventes ; donc beaucoup plus en nombre, si l'on considère que les œuvres contemporaines sont infiniment moins chères que celles des peintres de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle.