Trois moments principaux ont marqué, avec une intensité inégale, l'expression de cette vision négative ou seulement réservée du Bicentenaire. D'abord, le 9 juillet, au cœur de la Vendée, au Puy-du-Fou, autour de Philippe de Villiers, en la présence très remarquée du cardinal Glemp, primat de Pologne. Dans son homélie, prononcée au cours de la messe célébrée devant les ruines du château brûlé en 1793, le cardinal-primat compara la Vendée pendant la Révolution à la Pologne sous le régime communiste, y relevant un contexte commun de persécution religieuse et de violence envers l'Église, le clergé et les fidèles. Ensuite, le 15 août, place du Louvre, à Paris, où l'intégrisme catholique et l'extrême droite politique se donnèrent rendez-vous pour protester contre « les crimes de la Révolution » au cours d'une manifestation qui rassembla plusieurs dizaines de milliers de personnes. Enfin, plus discrètement, le 12 décembre, lors du transfert au Panthéon des cendres de l'abbé Grégoire, en l'absence de toute représentation officielle de l'épiscopat français, signe des réserves qui subsistent, au sein de l'Église de France, face à la Révolution et à sa politique religieuse.

On notera l'absence de contestation dans les rangs d'une extrême gauche visiblement désorientée par la crise profonde que traverse le modèle révolutionnaire marxiste, dans son idéologie comme dans sa pratique gouvernementale.

Un bicentenaire pour quelle révolution ?

Quelle Révolution célèbre-t-on ? Celle de 1789 marquée par le serment du Jeu de paume (20 juin), la prise de la Bastille (14 juillet), l'abolition des privilèges (4 août) et l'adoption de la Déclaration des droits de l'homme (26 août) ? Mais la Révolution se poursuit au moins jusqu'en 1799, sinon 1815. S'agit-il de la Révolution juridique et parlementaire qui remodèle la France et la dote de sa première constitution de 1789 à 1792 ou de la Révolution terroriste et antireligieuse de 1793-1794 ? L'affirmation solennelle des principes de 89 et l'usage immodéré de la guillotine comme moyen de gouverner et de contraindre ne sont guère compatibles, même si l'on tient compte des circonstances. La Révolution de Mirabeau et de La Fayette est-elle celle de Robespierre et de Marat ? Quoi de commun entre Théroigne de Méricourt et Charlotte Corday ? Entre Carrier et Stofflet ? Entre les Blancs et les Bleus de Vendée ? Sur le plan de la connaissance objective, il devient de plus en plus difficile de continuer à soutenir l'idée grandiose mais simpliste que la Révolution est un bloc, selon la célèbre formule de Clemenceau.

La recherche historique récente s'est efforcée de mieux comprendre la complexité du phénomène révolutionnaire, ses contradictions et ses limites. Dans un contexte marqué par la guerre qui, à partir de 1792, mobilise toutes les ressources de la Nation et de l'État, les principes n'ont pas toujours été appliqués, non plus que les discours et les plans suivis d'effets. Le Mythe et l'Histoire divergent... C'est donc tout naturellement qu'un décalage existe entre la Révolution commémorée par les uns et la Révolution reconstituée, dans son épaisseur historique, par les autres, la permanence du courant contre-révolutionnaire exprimant une troisième voie qui existe depuis 1789 : celle du refus de la Révolution.

Niech zyje Vendée !
Vive la Vendée !

Chaque année, le grand spectacle scénographique du Puy-du-Fou fait revivre devant des milliers de spectateurs la lutte héroïque et désespérée de la Vendée insurgée contre la Révolution. La cérémonie du 9 juillet 1989, au-delà d'une manifestation de solidarité avec la Pologne, a montré la permanence, chez les catholiques de l'Ouest, d'une vision de la Révolution fort éloignée de celle véhiculée par le Bicentenaire.

Le cardinal Glemp compare la Vendée à la Pologne :
« Dans l'un et l'autre cas, on a essayé d'enlever Dieu de la vie sociale et de la conscience de générations entières, dans l'un et l'autre lieu, on a rencontré des essais de désintégration de l'Église. Ici et là, on a utilisé les différentes formes de terreurs, de prisons, de condamnations injustes du clergé et des laïcs, des décrets qui entravaient le travail de l'Église et sa communion avec le Saint-Siège, les morts tragiques des prêtres et des fidèles, l'athéisation de la société... Mais, ici et là-bas, le peuple de Dieu a gardé sa profonde intuition religieuse, sa fidélité à Dieu et aux valeurs fondamentales du christianisme. Ici et là-bas, Dieu a gagné. »

Les petits bicentenaires

La Mission du Bicentenaire a pris fin le 31 décembre 1989. Est-ce à dire qu'on ne parlera plus de la Révolution à compter du 1er janvier 1990 ? Certains le souhaiteraient, d'autres le redoutent... En fait, s'il n'y aura plus désormais de commémoration officielle d'État, les bicentenaires relatifs à tel ou tel événement révolutionnaire ne s'en succéderont pas moins durant la décennie à venir, suscitant des commémorations particulières. C'est ainsi que le 14 juillet 1990, anniversaire de la fête de la Fédération, la Mairie de Paris prévoit d'inviter les 36 000 maires de France sur le Champ-de-Mars. Quant aux Vendéens, ils sauront bien se souvenir en 1993 des exploits de l'Armée catholique et royale ! Aussi laisserons-nous provisoirement le dernier mot à Jean-Noël Jeanneney : « L'année prochaine, chacun fera ce qu'il voudra. »

Jean-Marcel Champion
Agrégé d'histoire, Jean-Marcel Champion a collaboré au Dictionnaire Napoléon, publié sous la direction de Jean Tulard.