Journal de l'année Édition 1989 1989Éd. 1989

L'année dans le monde

Il est des années où les événements se bousculent et en quelque sorte s'annulent : l'arrêt des massacres entre les hommes est contrebalancé par les hécatombes naturelles. 1988 est de celles-là.

Le retrait progressif des troupes soviétiques du piège afghan, où les avait enfermées Leonid Brejnev, et l'annonce d'un cessez-le-feu, l'interruption des combats entre l'Iran et l'Iraq, les négociations sur le désengagement cubain en Angola, l'accord sur la Namibie, la déclaration de paix du colonel Khadafi au Tchad représentent une accumulation assez exceptionnelle de solutions pacifiques. L'annonce faite par M. Gorbatchev à la tribune de l'ONU que l'URSS allait réduire de 500 000 hommes les forces soviétiques en Europe de l'Est en a été le couronnement.

Les Nations unies, que l'on disait au bord de l'impuissance, ont joué un rôle de premier plan dans la plupart des accords, grâce à l'habileté politique de leur secrétaire général, M. Javier Perez de Cuellar.

Le climat de détente s'est étendu à la Nouvelle-Calédonie, où, après une redoutable ascension de la violence, MM. Jacques Lafleur, chef de file des caldoches, et Jean-Marie Djibaou, leader des indépendantistes canaques, ont conclu un accord entériné par le chef du gouvernement.

Les jeux Olympiques de Séoul se sont déroulés sans incident. Un pas de plus vers la détente et aussi vers le dépistage de la fraude, qui transforme la compétition sportive en concurrence entre laboratoires.

Année blanche donc ? L'histoire n'en a jamais relaté d'immaculée. En Arménie, un terrible séisme a fait des dizaines de milliers de morts. Au Bangladesh, de nouvelles inondations ont multiplié les victimes. En Birmanie, le départ du général Ne Win a provoqué des troubles sanglants.

Dans le même temps où Israël célébrait le quarantième anniversaire de son arrivée au rang des nations, la « guerre des pierres » dans les territoires occupés mobilisait son armée et l'OLP annonçait la naissance d'un État palestinien. Les nationalismes n'ont jamais été aussi brûlants. En URSS, M. Gorbatchev, devenu chef de l'État, a dû faire face à un conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, que le tremblement de terre lui-même n'a pas apaisé, et au défi lancé par les républiques baltes, désireuses d'échapper à la lourde tutelle du pouvoir central.

Année des urnes. Rarement aura-t-on autant usé de la liberté du scrutin. Dans les pays qui en avaient perdu l'usage, le retrouver tout à coup a ébranlé les régimes en place. Au Chili, le général Pinochet a été désavoué par la majorité ; au Pakistan, après la mort du général Zia, qui avait fait exécuter son père, Benazir Bhutto a remporté une victoire qui l'a conduite à la tête du gouvernement.

Là où les règles du jeu sont respectées depuis longtemps, les électeurs ont manifesté leur peu de goût pour les changements brusques. Les Américains ont, après une morne campagne, fait un président du vice-président Bush. Les Français ont maintenu M. François Mitterrand à la tête de l'État.

Après avoir, à l'Assemblée nationale, donné au parti socialiste une prééminence, mais non une majorité absolue, ils se sont lassés et se sont largement abstenus aux élections cantonales et, massivement, au référendum sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Trop de scrutins successifs et un désintérêt pour la classe politique qui s'est reflété dans la place qu'a voulu faire à la société civile M. Michel Rocard dans son gouvernement. La société religieuse, elle, a connu, du moins chez les catholiques, un séisme : la rupture entre le Vatican et Mgr Lefebvre lorsque celui-ci a ordonné quatre évêques traditionalistes.

Toujours en France, de sévères conflits sociaux ont mis à rude épreuve l'autorité du gouvernement et les jambes des banlieusards. Les premiers signes d'un redressement économique, encore menacé notamment par la fragilité du système financier international, ont été, dans le secteur public soucieux d'accroître ses rémunérations, une des raisons de ces troubles aux résonances politiques. L'inquiétude aussi devant un chômage toujours important pour le présent et partiellement la crainte de voir les retraites s'amenuiser dans l'avenir. Les avancées de la technologie et les progrès de l'industrie notamment dans l'automobile ne facilitent pas l'augmentation du nombre d'emplois. Elles posent aussi au monde industrialisé des problèmes graves. Que faire des déchets dangereux qu'il produit ? Comment désengorger un ciel où se multiplient les transports aériens ?

À d'autres inquiétudes, celles de l'esprit, la culture s'efforce de répondre. Toujours en marche, elle emporte avec elle son passé, ce patrimoine dont le domaine, des monuments aux usines, ne cesse de s'étendre, comme ne cesse de se transformer le plus aérien des arts. L'année de la danse ne pouvait être une année noire.