Journal de l'année Édition 1989 1989Éd. 1989

Point de l'actualité

Bush président

George Bush ou Michael Dukakis ? Un héritier républicain contesté ou un (presque) inconnu démocrate réputé compétent ? Acculée à voter, au terme de dix mois d'une campagne plutôt terne, éprouvante et coûteuse, où le débat de fond avait très vite cédé le pas aux attaques personnelles, l'Amérique, qui avait confié aux sondages son peu d'enthousiasme pour les deux candidats, finit, à travers George Bush, par plébisciter une nouvelle fois Ronald Reagan avec 54 % des suffrages, estimant sans doute, selon la formule célèbre de ce dernier, « qu'elle était plus heureuse aujourd'hui qu'il y a huit ans ».

Voter Bush, n'était-ce pas prendre un pari sur la survie de l'héritage ? Un héritage des plus alléchants d'ailleurs, exception faite d'un déficit commercial et budgétaire considérable qui, pour nombre d'Américains, n'a pas de signification concrète. Un chômage à la baisse (5,4 %), dix-sept millions d'emplois nouveaux et les rameaux d'olivier de la « pax reagana », voilà de quoi délivrer l'électeur américain de la peur du déclin.

Et comme, dans une ère de paix et de prospérité, on s'occupe beaucoup moins des subtilités de la politique étrangère que de la richesse de son porte-monnaie et des moyens de la préserver, la campagne de M. Bush n'a guère eu besoin d'innover. Il lui a suffi de dépeindre les Démocrates comme d'irréductibles dépensiers prêts à dilapider l'héritage et incapables de le protéger contre les dangers de la drogue ou de la criminalité. Quant aux lacunes du gouvernement précédent et à ces millions de « laissés-pour-compte », le président élu a promis de s'y consacrer en donnant « plus de cœur » à l'Amérique.

En face, il est vrai, les Démocrates ne paraissaient pas de taille à lutter. Dissuadés sans doute par le coût exorbitant des campagnes – et celle-ci a battu des records –, beaucoup de leurs champions n'avaient même pas pris le départ. À commencer par John Glenn, qui achève de payer les dettes de sa campagne malheureuse de 1984, et surtout par le spécialiste incontesté des problèmes de défense, le sénateur conservateur Sam Nunn, un « sudiste » pour qui la série de primaires du Sud destinée à rompre l'influence grandissante des États du Nord, plus libéraux, sur le processus des primaires démocrates avait été faite sur mesure. D'autres enfin, et non des moindres, comme Gary Hart, compromis par un week-end extraconjugal avec un mannequin, n'ont pu passer la nouvelle barrière de pudibonderie électorale aussi efficacement dressée par les médias que par les électeurs.

Pour finir, seuls « sept nains », comme on les appelait, se présentèrent. Michael Dukakis, le pragmatique gouverneur du Massachusetts, n'était que le moins petit d'entre eux. Est-ce un hasard ? C'était aussi celui qui, comme George Bush chez les Républicains, avait amassé le plus gros trésor de guerre.

Son heure de gloire, M. Dukakis la connut à Atlanta à la convention démocrate, où il réussit, dans « l'intérêt bien compris » du parti, à le « recentrer » en désamorçant la bombe libérale du pasteur Jackson et en prêchant l'unité ; malheureusement, cette volonté de rassemblement l'obligea à ne rien formuler de concret. Faute de véritable message, la campagne démocrate s'enlisa.

La victoire était-elle pourtant à portée de main ? Il semble que oui à en juger par les résultats des élections au Congrès. Loin de reculer, les Démocrates ont assis leur confortable majorité dans les deux Chambres en arrachant un siège supplémentaire au Sénat et cinq à la Chambre. Élu avec une majorité des suffrages, mais aussi un taux d'abstention record (un peu moins de 50 %), George Bush ne semble pas avoir reçu le même mandat que Ronald Reagan en 1980. Les Républicains avaient alors conquis le Sénat, où ils maintinrent leur majorité jusqu'en 1986. Une étude plus détaillée des résultats montre que la moitié des Démocrates, séduits par les sirènes reaganiennes lors des deux dernières élections, ont regagné le giron du parti. Et les commentateurs américains de s'extasier sur la « maturité » supposée de l'électorat américain, qui a opté avec prudence pour un partage rationnel des tâches : aux Républicains de veiller sur la défense nationale et la prospérité économique, aux Démocrates de se battre au Congrès pour l'environnement, les avantages sociaux et, en un mot, la qualité de la vie de tous les jours. Une version dure de la « cohabitation »...

Marie-Claude Decamps