Le ciel embouteillé

Aux États-Unis, comme en Europe ou au Japon, les avions sont de plus en plus nombreux. L'engorgement des aéroports et la saturation des systèmes de contrôle menacent la sécurité et le confort du transport aérien.

Pour les passagers aériens de toute l'Europe, le week-end de l'Ascension 1988 a été marqué d'une pierre noire : des retards qui n'en finissaient plus, des salles d'embarquement et des halls d'aérogares surchargés, un personnel d'accueil épuisé, des familles à bout de nerfs ; un véritable enfer, qui menaçait de se reproduire lors de la fête de la Pentecôte et, à bref délai, tous les jours de pointe des vacances d'été. Le problème est apparu d'une telle ampleur qu'il a imposé l'organisation d'une conférence des directeurs généraux de l'aviation civile de dix-huit pays européens sur les vingt-deux qui forment la CEAC (Commission européenne de l'aviation civile). À cette réunion, qui s'est tenue le 1er juin dans une salle de l'hôtel Sofitel de l'aéroport de Roissy, ne manquaient que les représentants du Luxembourg, de Malte, de Chypre et de la Turquie, excusés pour des motifs divers.

Ce branle-bas de combat a été le signe le plus évident de cette question, qui, après s'être posée aux États-Unis, inquiète à présent tous les responsables européens du trafic aérien : les infrastructures au sol – installations aéroportuaires, organismes de contrôle de la circulation aérienne – deviennent de plus en plus insuffisantes pour absorber et canaliser la circulation. En effet, après une période de marasme due à la crise économique mondiale, la circulation augmente depuis 1985 dans des proportions largement supérieures aux prévisions des experts : des 5 à 7 % par an estimés pour 1987 et 1988, on est arrivé à 13 % pour les six premiers mois de 1988. et à 20 % de plus pour la Pentecôte. 5 200 vols ont été contrôlés en France en 24 heures – contre 4 000 environ en temps normal – dont beaucoup en simple transit dans l'espace aérien français, qui est le lieu de passage obligé de nombreux vols internationaux, transatlantiques notamment. Ce dernier subit ainsi les conséquences de l'engorgement des espaces aériens voisins, qui se fait sentir sur le trafic des aéroports français, que ce soit au départ ou à l'arrivée. Entre 1973 et 1987, les mouvements contrôlés par la France (dont 45 % sont constitués par le survol sans escale du territoire) sont passés de 920 000 à 1 400 000 par an, sans que le nombre des contrôleurs aériens augmente en corrélation et que les moyens techniques soient améliorés.

Jimmy Carter lâche la bride

Tout a commencé lorsque le président Jimmy Carter a instauré aux États-Unis la politique de déréglementation des transports aériens pour lutter contre le carcan imposé par l'IATA (Association du transport aérien international), qui groupe les grandes compagnies mondiales. Cette politique peut se résumer en deux principes : liberté des tarifs, liberté du trafic.

Aux tarifs et prestations à bord identiques imposés sur un même parcours à toutes les compagnies assurant cette desserte, à la désignation par les autorités gouvernementales de la ou des compagnies autorisées à l'assurer, aux accords bilatéraux entre États succédait la concurrence totale. Aux États-Unis, les résultats ne se sont pas fait attendre. Ce fut d'abord une période d'euphorie, marquée par la naissance de nombreuses compagnies nouvelles ouvrant d'innombrables lignes intérieures et se livrant à une guerre tarifaire effrénée, à la grande satisfaction initiale des passagers, qui se sont alors précipités dans les avions. Mais le réveil fut douloureux : faillites rapides d'un grand nombre de nouveaux transporteurs, regroupements au sein de quelques « majors » (ou mégacompagnies), disparition de nombreuses dessertes considérées comme non rentables, retards de plus en plus fréquents et importants, pertes de bagages, service à bord laissant à désirer, sécurité des vols souvent compromise – d'où plusieurs accidents graves –, équipages insuffisamment expérimentés, trop vite formés, mal payés, devant assurer trop d'heures aux commandes, volant sur des avions de plus en plus complexes dans un espace aérien de plus en plus encombré – en particulier dans les zones terminales d'aéroports –, insuffisance du nombre et du niveau de formation des contrôleurs aériens. La grande majorité de ces derniers devait d'ailleurs être révoquée par le président Ronald Reagan à la suite d'une grève prolongée jugée inconstitutionnelle (1981).

700 000 pilotes privés

Aux États-Unis, les effets nocifs d'une déréglementation trop rapide et incontrôlée continuent de se faire sentir. Étant donné qu'elles ont eu besoin de plus en plus de pilotes, certaines compagnies – de taille internationale parfois – se sont mises à abaisser les standards de recrutement. D'autre part, les problèmes du contrôle de la circulation aérienne et de la saturation des aéroports ne sont pas près d'être résolus, malgré les gros travaux d'infrastructure engagés. À cela s'ajoute la question des 700 000 pilotes propriétaires d'avions privés, qui sont nombreux à utiliser leurs appareils à des fins professionnelles parce qu'ils ne disposent pas de dessertes locales et régionales ou parce qu'ils sont lassés des retards, voire de l'incurie d'une grande partie des lignes régulières. Appuyés sur leurs droits constitutionnels et soutenus par les nombreux membres du Congrès titulaires du brevet de pilote, ils luttent pour conserver la liberté du ciel. L'incompétence de l'ancien secrétaire aux Transports, Mrs Elizabeth Dole, qui a fait prendre par le DOT (Department of Transportation) des mesures auxquelles s'est opposée la quasi-totalité de la communauté aéronautique américaine, et les erreurs de la FAA (Fédéral Aviation Administration) ont rendu la situation inextricable. La prochaine administration aura fort à faire pour trouver, financer et appliquer des solutions satisfaisantes, à la fois pour les passagers de l'aviation commerciale et pour les autres utilisateurs de l'espace aérien des États-Unis.

Des aéroports sur l'eau

Mais, comme chacun le sait, tout ce qui se passe aux États-Unis s'étend bientôt au reste du monde. L'engorgement de l'espace aérien a gagné les autres pays économiquement avancés. C'est le cas du Japon, dont les aéroports internationaux sont saturés, et qui fournit un effort colossal, à coups de milliards de yens, pour se donner l'espace nécessaire. S'étendant sur plus de 2 000 km de longueur, ce pays a naturellement un trafic aérien intérieur considérable. À Tokyo, on agrandit ainsi l'aéroport d'Haneda, base des lignes intérieures, en gagnant du terrain sur la mer, et, malgré l'opposition vigoureuse des écologistes, on a entrepris de développer l'aéroport international de Narita. Pour disposer d'une telle infrastructure ouverte en permanence, des travaux gigantesques sont poursuivis dans la baie d'Osaka, où, sur une immense île artificielle située à 5 km des côtes, seront installés les bâtiments de Kansaï International Airport. Le tout doit être opérationnel en 1991.