Journal de l'année Édition 1988 1988Éd. 1988

L'année dans le monde

Le problème de la guerre et de la paix reste encore en suspens. La première offre aux marchands d'armes un inépuisable marché de consommation le long de la diagonale aréique qui s'étire du Burkina-Faso aux confins sino-pakistanais. L'un des points chauds de ce domaine de tensions se fixe en Afrique dans la bande d'Aozou, où il n'est qu'assoupi depuis les défaites infligées par Hissène Habré aux forces libyennes du colonel Khadafi. Un autre foyer de guerres endémiques ensanglante toujours le Proche-Orient, poursuit son œuvre de dislocation au Liban, prend une dimension internationale dans le golfe Persique, où le conflit irano-iraqien menace aujourd'hui les intérêts des grandes puissances occidentales et ceux de leurs alliés arabes. La guerre s'éternise en Afghanistan, où l'Armée rouge s'essouffle à tenter de venir à bout de la résistance d'un peuple qu'arment une foi et un enracinement intransigeants, mais aussi de légers et redoutables engins sol-sol ou sol-air.

Bien qu'elle n'ait pas atteint tous ses objectifs en Asie, en Angola ou en Amérique centrale, l'URSS recherche la paix. Mais la recherche-t-elle pour elle-même ou pour détourner, à la réalisation de ses propres fins, l'aspiration première d'une humanité qui compte sans doute depuis cette année cinq milliards d'hommes et qui redoute un conflit nucléaire susceptible de mettre en cause sa survie ?

Oscar Arias et Jean-Paul II ont su comprendre cette aspiration. En est-il de même du « séduisant » maître du Kremlin, Mikhaïl Gorbatchev ? En négociant avec Ronald Reagan l'accord sur le retrait d'Europe des missiles de portée intermédiaire et en prônant l'option « double zéro », songe-t-il seulement à exploiter la convergence exceptionnelle de ses intérêts avec ceux du président des États-Unis ? Tous deux désirent renforcer leur prestige international pour mieux asseoir leur autorité morale et faire accepter leur nouvelle politique économique : austérité budgétaire et relance des exportations à Washington, fût-ce aux dépens des membres alliés du Pacte atlantique qui ont appris à connaître les limites de l'amitié nord-américaine lors du nouveau « krach de Wall Street » du lundi 19 octobre 1987 ; appel à l'initiative privée à Moscou pour mettre un terme à l'inefficacité du système de production soviétique.

Des trois nouveaux mots d'ordre que le Premier secrétaire a assignés à ses concitoyens, les Occidentaux en ont retenu deux : Glasnost, qu'ils ont peut-être traduit à tort par « transparence », et Perestroïka, c'est-à-dire « reconstruction » d'un État, d'une société, d'une économie qu'ils imaginent de type libéral. Mais, le troisième mot d'ordre : Uskorenie, a souvent été oublié. Cette « accélération », n'est-ce pas en réalité celle de la marche que Lénine leur avait ordonné jadis d'entreprendre vers le socialisme ? En fait, seul le tracé de la route serait modifié grâce à une politique qui aurait pour l'URSS d'immenses avantages : disjoindre les États-Unis de leurs alliés ; dénucléariser l'Europe moyenne ; neutraliser l'Allemagne et la réunifier au profit de la RDA.

L'équilibre du monde est en jeu. Et pas du seul fait des États-Unis et de l'URSS. Scientifiques, techniciens, industriels et agriculteurs menacent peut-être encore plus durablement l'avenir de l'humanité que les grandes puissances par leurs découvertes et par l'emploi qu'ils en font. En témoignent la dégradation accrue de l'environnement, l'amincissement et même, parfois, la béance, au-dessus de l'Antarctique, de la couche d'ozone qui protège la vie contre le rayonnement des rayons ultraviolets. La banalisation des voyages intercontinentaux, l'évolution des mœurs, la recherche d'un argent facile accroissent le trafic et la consommation des drogues.

En fait, rien n'est jamais joué. En France, en particulier, la cohabitation a permis à la nouvelle majorité de réaliser en partie son programme sans, apparemment, déstabiliser l'institution présidentielle. La sécurité a été améliorée, le terrorisme a été mieux maîtrisé, des otages ont été libérés, les privatisations en grande partie menées à bien, avec pour corollaire la création d'un actionnariat populaire que ne semblent pas avoir encore découragé les jeux de la finance, les OPA amicales ou sauvages et le krach boursier du 19 octobre.