Journal de l'année Édition 1988 1988Éd. 1988

Point de l'actualité

Les jeux de la finance

Le 12 mars, la cote de Volkswagen sur les marchés financiers chute brusquement : le premier constructeur d'automobiles européen vient d'annoncer qu'il constituait une provision de 480 millions de deutsche Mark pour couvrir ses pertes au change en 1986, soit 1,6 milliard de francs, l'équivalent de son bénéfice annuel. Une gestion imprudente, des escroqueries commises en utilisant les fonds de l'entreprise et l'absence de contrôle financier interne expliqueraient cette énorme perte.

À un échelon plus modeste, mais au cœur même de Wall Street, le 17 avril, 19 agents de change ou employés de sociétés financières ont été arrêtés pour trafic de drogue. Le FBI a prouvé que de nombreux courtiers échangeaient des informations ou des titres contre de la cocaïne. « Contre le stress des salles de change, la drogue est irremplaçable ; coke is business », déclare l'un des inculpés.

Cette double chronique judiciaire et financière, qui assure une crédibilité nouvelle aux romans de Paul-Louis Sulitzer et d'Herbert Lieberman, rappelle l'inquiétude suscitée aux États-Unis, à la fin de 1986, par la chute d'Ivan le Terrible, le tsar des temps modernes. Ivan Boesky, l'un des financiers les plus redoutés de Wall Street, metteur en scène d'OPA et marieur d'entreprises, avait été inculpé pour avoir obtenu et exploité des informations confidentielles lors de la préparation des fusions qu'il négociait.

En quelques années, les marchés financiers internationaux ont vécu une révolution sans précédent historique. Pour conquérir la clientèle, de nouveaux instruments financiers ont été créés afin de faciliter le choix des opérateurs. Les grandes places financières internationales sont connectées entre elles. Dès lors, on obtient une cotation en continu et une transaction peut être conclue en n'importe quel lieu et à n'importe quel moment. L'information financière circule très rapidement ; tout opérateur entre dans le marché financier pour saisir une occasion profitable et de même en sort, comme au casino.

Cette explosion des techniques financières a fait naître de nouveaux intermédiaires, connus sous le nom de golden boys, de yuppies (young urban professionnal people) ou, encore, de dinks (double income no kids : double revenu sans enfants). En fait, ces différentes expressions désignent souvent le métier de trader (acheteur-vendeur de titres). De tels emplois sont confiés soit à des jeunes diplômés des universités ou des grandes écoles (on parle alors de racket specialists), soit à des techniciens formés sur le tas. Seuls les jeunes peuvent mobiliser les connaissances mathématiques indispensables à l'étude des charts (graphiques) et à l'analyse du marché ; seuls ils peuvent disposer de la résistance physique, et surtout nerveuse, nécessaire pour manier des masses considérables d'argent avec une certaine pointe de détachement. Aux États-Unis, ils travaillent par centaines dans d'immenses salles encombrées de consoles informatiques et d'appareils téléphoniques. L'activité qu'ils exercent est harassante ; ils s'offrent en compensation des fantaisies que leur rémunération, pourtant très élevée, ne suffit pas toujours à couvrir. Aussi sont-ils menacés par la tentation de transgresser la réglementation des marchés financiers.

La première tentation entraîne les opérateurs à franchir la muraille de Chine : d'un côté du mur se préparent en grand secret des montages financiers relatifs à des opérations de fusions, etc. ; de l'autre côté, les golden boys ont connaissance d'informations confidentielles qu'ils divulguent à des tiers bien placés pour réaliser des profits spéculatifs (affaire Boesky). Le second péril, illustré par Volkswagen, consiste pour les professionnels à travailler pour leur propre compte en jouant sur les masses d'argent des entreprises qu'ils gèrent.

Gilbert Rullière