OPA : la guerre des entreprises

Raids, cibles, agressions : la vie des sociétés utilise désormais le vocabulaire militaire. Déjà, les Clausewitz reconvertis élaborent de nouvelles stratégies.

L'offre publique d'acquisition recouvre deux sortes d'opérations distinctes selon les modalités de transfert des actions d'une entreprise à un autre propriétaire : on parle alors soit d'offre publique d'achat (OPA), soit d'offre publique d'échange (OPE).

Dans les deux cas, publiquement et pour une durée limitée, une personne physique ou morale propose aux actionnaires d'une société cotée en Bourse d'acquérir (OPA) ou d'échanger (OPE) leurs titres dans le but de prendre le contrôle de la société visée ou de la renforcer. Cette offre peut être inconditionnelle ou subordonnée à la présentation d'un nombre suffisant d'actions selon l'objectif poursuivi par l'initiateur de l'offre publique, entre autres obtenir la majorité de contrôle de l'entreprise. Dans certains cas, l'offre publique précise le nombre maximum d'actions à acheter ou à échanger : si le nombre de titres présentés dépasse ce maximum, une réduction est alors opérée. Aussi bien en France que dans les pays étrangers, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le grand public perçoit l'OPA comme une féroce bataille financière entre deux grandes entreprises.

La première grande OPA connue en France fut lancée en novembre 1968 par BSN contre Saint-Gobain ; elle se termina sur un échec de BSN après un affrontement à couteaux tirés entre les deux firmes. Cette OPA a laissé le souvenir qu'aucune entreprise, même géante et bénéficiant d'une réputation exceptionnelle, ne pouvait être à l'abri d'une OPA venant d'une entreprise moins puissante et plus petite qu'elle. Par la suite, si le nombre des OPA s'est multiplié, c'est parce qu'elles ont permis tout aussi bien de prendre le contrôle d'une entreprise au moindre coût (OPA amicales ou hostiles) que de réaliser rapidement des gains substantiels à caractère spéculatif (OPA agressives ou sauvages).

OPA amicales et OPA hostiles

Jusqu'au début des années 1980, ce sont surtout les OPA dites amicales et celles appelées inamicales ou hostiles qui ont dominé. Elles ont participé dans leur ensemble à la restructuration des activités industrielles ou de services à travers des opérations très classiques de fusion-concentration avec remise en cause de la gestion et l'élimination de secteurs d'activité peu rentables.

Les OPA dites amicales sont lancées à la suite d'un accord qui intervient entre les dirigeants de deux sociétés, dans un but soit de transmission, soit de vente de l'entreprise à une autre dans des conditions favorables pour l'un comme pour l'autre. Dans ce cas, il s'agit d'une opération de concentration ou de fusion. Les dirigeants de la première entreprise souhaitent céder leurs actifs dans de bonnes conditions ; les responsables de la seconde veulent bien prendre le contrôle sous réserve que l'opération ne leur coûte pas trop cher. La solution consiste alors à transférer un paquet d'actions tel que la majorité de contrôle sera atteinte, sans trop débourser d'argent. Cet accord ne peut pas être conclu à l'amiable pour la simple raison que les intérêts des actionnaires ne doivent pas être lésés. Aussi, la réglementation fait obligation de lancer une offre publique d'achat, du moins s'il s'agit de titres admis à la cote officielle ou négociés sur le marché hors-cote d'une Bourse des valeurs. L'offre publique doit être lancée de façon à faire savoir à d'éventuels acquéreurs intéressés qu'ils peuvent toujours offrir un prix plus élevé pour les actions à vendre. Les intérêts des dirigeants propriétaires comme ceux des actionnaires ordinaires peuvent être considérés comme protégés.

Les OPA dites inamicales ou hostiles répondent davantage à l'image retenue par le public ; l'initiative d'une OPA à l'encontre d'une entreprise est justifiée dans la mesure où celle-ci apparaît mal gérée, ne semble pas valoriser suffisamment son potentiel de production et ne dégage pas de gains élevés. Dans ce cas, il est prévisible que l'équipe dirigeante n'accepterait pas facilement de céder le pouvoir à ceux qui, sous le couvert d'une réorganisation de l'entreprise ou du groupe d'activités, les évinceraient. L'OPA s'impose alors comme le moyen de mettre fin à une telle situation. Par la diffusion d'informations dans la presse ou à l'aide de circulaires adressées directement aux actionnaires dont le domicile est connu, il s'agit alors de faire connaître à ces derniers l'intérêt qu'ils éprouveraient à céder leurs titres. L'OPA représente le procédé le moins coûteux parce qu'elle entraîne seulement l'acquisition d'un paquet d'actions et ne nécessite pas l'achat d'actifs difficiles à évaluer. La réussite de l'opération dépend évidemment de l'attitude des actionnaires qui doivent par ailleurs passer outre à l'hostilité du conseil d'administration, qui leur recommande de ne pas céder leurs titres.

OPA agressives ou sauvages

À partir de 1982-1983, à côté des offres publiques amicales ou hostiles, d'autres OPA, d'un type tout à fait nouveau, sont lancées dans presque tous les secteurs d'activité, entraînant de spectaculaires restructurations d'entreprises ou de groupes et la formation de conglomérats. Cette nouvelle OPA est appelée sauvage ou agressive, car elle ressemble à une agression contre une entreprise ou, selon l'expression anglo-saxonne, à un raid. Évidemment, ceux qui s'attaquent à une entreprise qu'ils veulent acquérir, ou simplement contrôler, ont été qualifiés de raiders ou, plus récemment, de prédateurs, l'entreprise étant considérée comme une proie. Quel que soit le nom donné, il s'agit bien souvent de financiers tentés par une opération à caractère spéculatif, comparable à un jeu qui doit leur rapporter des gains faciles, immédiats et substantiels par rapport à la mise engagée.