Télévision : l'année du privé

À peine l'année 1985 commençait-elle, le président de la République, François Mitterrand se prononçait le 4 janvier pour la création en France de chaînes privées de télévision. C'était un nouveau cours.

Pour qui gardait en mémoire les positions toujours défendues par la gauche, et notamment par le parti socialiste, cette nouvelle orientation avait de quoi surprendre. Jusque-là, François Mitterrand, ses amis et ses alliés s'étaient faits les défenseurs sourcilleux du monopole de l'État sur l'audiovisuel, conçu comme un moyen de mettre au service de la collectivité nationale ce prestigieux instrument d'information, d'éducation et de culture. La gauche – y compris le candidat François Mitterrand pendant sa campagne présidentielle en 1981 – voyait d'un œil soupçonneux toute mainmise des puissances d'argent sur l'outil télévisuel, considéré comme un service public qu'il convenait de préserver coûte que coûte face à toutes les menaces de privatisation. Les partis de gauche insistaient aussi sur le risque de baisse de qualité des programmes de télévision en cas d'intervention du secteur privé – les exemples italien et américain servant toujours de repoussoirs dans l'argumentation – et sur le risque de disparition progressive de toute création d'origine française, par rapport à l'envahissement de programmes américains bon marché.

Du monopole à la libération

Pourquoi donc cette évolution de la pensée présidentielle, pourquoi cette ouverture au secteur privé – aussitôt condamnée par l'ancien partenaire communiste – après quatre ans de présence au pouvoir ? Sans doute pour deux ordres de raisons. D'abord, on peut penser qu'il aurait été absurde de prolonger indéfiniment le monopole étatique sur la télévision, alors qu'il avait été supprimé pour la radio : l'expérience des radios « libres », ou « radios locales privées » selon l'expression de la loi du 29 juillet 1982, venait renforcer l'idée que ce qui avait été vrai pour la presse écrite depuis 1881 (« la presse est libre » disait alors la loi) pouvait l'être aussi, à la satisfaction quasi générale, dans le domaine de la radiodiffusion. Malgré quelques cafouillages inévitables au début, la France a mis au point, depuis 1982, un système de radios locales original – attribution des fréquences par la Haute Autorité, autorisation de la publicité, perception d'une taxe sur la publicité pour aider les radios associatives – qui a permis à quelques centaines d'émetteurs de se mettre en place et de conquérir une fraction croissante du public, surtout parmi les jeunes auditeurs. Pourquoi refuser éternellement à la télévision ce qu'on avait mis en place pour la radio ? D'ailleurs, l'article 1 de la loi du 29 juillet 1982 dispose joliment que « la communication audiovisuelle est libre » (sans limitation à la radio). Dans le même ordre d'idées, ce qu'on sait du futur des communications audiovisuelles, la perspective rapprochée de la mise en service de réseaux câblés et de satellites de diffusion directe, laisse entrevoir une grande multiplication des canaux de télévision mis à la disposition des consommateurs. Dans ces conditions, pourquoi entrer dans l'avenir à reculons, pourquoi ne pas précéder, ou tenter d'organiser, un mouvement techniquement inévitable ?

Cette première série de raisons, qui tient au bouleversement du paysage audiovisuel, n'aurait probablement pas suffi, s'il n'y avait eu aussi une conjoncture politique favorable. Cette conjoncture a résulté de l'échec des projets gouvernementaux relatifs à l'école libre.

Affaibli par cette querelle, convaincu qu'une partie de l'opinion publique était désormais méfiante à l'égard des initiatives de la majorité sur le front des libertés – alors que la gauche s'est, traditionnellement, toujours voulue à la tête du combat pour les libertés –, François Mitterrand a ressenti le besoin de contre-attaquer sur ce front. Quel meilleur terrain à cet égard que la télévision ?