Georges de Corganoff

Presse

1985, année du cinquantenaire de la création de la carte de presse – 20 000 journalistes recensés en France –, aura soufflé le chaud et le froid dans le monde de la presse : le Monde a dû faire face à de sérieuses difficultés et serrer d'une manière drastique tous les écrous, tandis que Jean-François Kahn créait l'événement avec L'Événement du jeudi, hebdomadaire financé en grande partie par ses lecteurs, qui sont plus de 110 000. De nombreux remous au Matin de Paris, où la moitié de la rédaction est partie consécutivement à l'arrivée d'un nouveau directeur, Max Gallo, les journalistes craignant un ancrage politique trop marqué du quotidien. Robert Hersant, poursuivant sa stratégie multimédias, a porté l'essentiel de ses efforts sur les futures télévisions privées, lançant une OPA sur Canal Plus et proposant de reprendre une des chaînes du service public, en 1986, si celles-ci étaient privatisées. Guerre remarquée, également, sur le marché des journaux féminins, avec deux créations : 7 Jours Madame, par le groupe Hachette-Filipacchi et Femme actuelle, par l'éditeur allemand Axel Ganz.

Une partie du capital de l'agence Reuter a changé de main, six groupes de presse anglais qui en étaient les actionnaires ayant vendu leurs parts, tandis qu'UPI faisait une retentissante faillite, et que l'AFP célébrait son 150e anniversaire par une grève très dure. Le métier de journaliste est à hauts risques : Jean-Paul Kauffmann est toujours prisonnier au Liban, et la couverture des conflits ou des événements dans certains pays, comme le Chili ou l'Afrique du Sud, devient de plus en plus périlleuse.

À l'étranger, la bonne santé des géants allemands Berstelmann et Axel Ganz semble vouloir illustrer une prépondérance de ce pays dans la communication européenne : 8 % d'augmentation du chiffre d'affaires pour le premier, 2,5 millions de lecteurs (surtout de lectrices) en France, pour le second. Aux États-Unis, on prépare une édition de la Pravda en américain. Un éditeur du Minnesota propose, pour 630 dollars par an, une édition traduite et imprimée au même format et sur le même papier que le quotidien soviétique.

Jérôme Hesse

Idées

Les penseurs d'aujourd'hui, loin de la politisation des années 70, cherchent avant tout à comprendre le monde. Mais, si on s'aperçoit que Freud n'a rien inventé, on n'en finit pas de vivre l'ère post marxiste (le Déclin du marxiste, Lucio Colletti). Les penseurs de 1985 comme B. H. Lévy mettent les concepts au service de la lutte pour les droits de l'homme. On constate cependant chez eux une absence de passion politique et un détachement par rapport à une gauche qu'ils jugent peu imaginative. Glucksmann ne proclame-t-il pas que nous avons la gauche la plus bête du monde (la Bêtise) ?

Ainsi, la recherche philosophique de l'année irait plutôt vers une définition de la morale ; Kant serait presque à la mode. Sur les traces de Michel Foucault, disparu cette année, les philosophes semblent trouver la forme privilégiée de leur réflexion dans l'Histoire : c'est comme s'il fallait aller voir dans le passé comment ont été résolues les questions que nous nous posons maintenant ; ainsi, Paul Veyne écrit une Histoire de la vie privée, Emmanuel Levinas ne peut pas penser comme si le génocide juif n'avait pas eu lieu, et l'Église, au sein du synode, déclare vouloir confronter la foi avec l'Histoire.

Le débat d'idées, en 85, a lieu aussi sur le terrain de l'art : Leonardo Sciascia dans Mots croisés, et surtout Michel Serres, dans les Cinq Sens, invite à retrouver les vertus des cinq sens et à marier le concept et l'image. Deleuze, dans Cinéma II l'image-temps, organise sa réflexion à partir du cinéma ; Jean Negroni, dans le Savoir-vivre intellectuel, réconcilie l'intellectuel et l'artiste.

Le philosophe d'aujourd'hui est partout, il fouille tout. Mais pour quelle morale ? Il semble que les progrès du savoir, loin d'apporter l'espoir, aboutissent à un cynisme généralisé (Jacques Bouveresse : Rationalité et cynisme). Nous sommes dans l'ère du cynisme : la pensée, comme une certaine poésie, semble se faire calembour, manière peut-être de reformuler les grandes questions sur l'homme alors qu'on termine à peine d'analyser les ruptures de mai 68. Robert Maggiori fait un bilan de cette génération : De la convivance.