Le nouveau pouvoir s'attaque, donc, en priorité à la modernisation de la panoplie nucléaire de dissuasion nationale. Au Parlement, Charles Hernu révèle qu'un conseil de défense à l'Élysée (30 octobre 1981), a arrêté une série de décisions de principe qui, toutes, contribuent à dessiner l'arsenal nucléaire français des années 90. Un nouveau sous-marin nucléaire, équipé d'un non moins nouveau missile stratégique M5, sera construit. Un missile balistique intercontinental, mobile, sera mis en chantier pour remplacer les bombardiers Mirage IV. Un missile tactique, le Hadès, est mis à l'étude pour succéder au Pluton de l'armée de terre.

Une ironie de l'histoire voudra, sans doute, que la responsabilité de concevoir la nouvelle génération des armes nationales de la dissuasion soit donnée à des hommes qui furent, dans un passé proche et pour la plupart d'entre eux, des opposants à la force nucléaire. À l'heure où, paradoxalement, bien d'autres actions, elles aussi prioritaires, dans les domaines économique et social, requièrent l'attention des dirigeants socialistes et les investissements du pays.

Déséquilibre

François Mitterrand n'a pas eu l'occasion de s'expliquer, devant les Français, des raisons de ces choix. Mais on sait que la nécessité de « ces actions de renforcement rapide », pour reprendre l'expression de Charles Hernu, de l'arsenal nucléaire s'est imposée à la suite d'un premier conseil de défense, durant l'été 1981, au cours duquel un examen exhaustif des rapports de forces dans le monde a été présenté au chef de l'État par son ministre de la Défense et par les états-majors.

Cette analyse a, dit-on, vivement impressionné le président de la République qui s'est déclaré « préoccupé » par le déséquilibre potentiel entre les deux grandes puissances et par la menace « d'un danger maximum de vulnérabilité entre 1984 et 1986 » à cause de l'avantage des Soviétiques dans le domaine classique et de leur « puissance dans la capacité de destruction anti-forces » avec les missiles SS-20 en Europe.

Lors de ses voyages au Japon et au Danemark, en avril 1982, François Mitterrand a rappelé, non sans fermeté à l'encontre de ses alliés socialistes qui le lui reprochaient, qu'il continuerait « quels qu'en soient les inconvénients » une politique de dissuasion garante de l'indépendance nationale. L'appui donné par la France au projet d'installer des missiles tactiques américains en Europe donne l'impression qu'elle met, parfois, ses efforts propres de modernisation nucléaire en parallèle avec ceux de l'Alliance atlantique.

L'OTAN et le déploiement des missiles en Europe

Réunis le 24 mars 1982 à Colorado Springs, aux États-Unis, les ministres de la Défense de l'OTAN, à l'exception de celui du Danemark, qui a réservé sa position, et de ceux de la France et de l'Islande, qui ne participent pas au comité des plans nucléaires, ont dénoncé le monopole soviétique en matière de missiles nucléaires tactiques en Europe et ils ont réaffirmé l'importance qu'ils attachent au déploiement en Europe de missiles américains Pershing et Cruise.

Par cette déclaration, les signataires ne se sont pas pour autant opposés au projet de conférence, à Genève, entre les États-Unis et l'Union soviétique sur une nouvelle réduction des armements stratégiques. (Les négociations américano-soviétiques s'ouvrent d'ailleurs comme prévu le 29 juin à Genève. Un huis-clos absolu protège les pourparlers des deux Grands.) Mais ils ont voulu signifier que, faute de résultats équitables et vérifiables, ils demeuraient décidés à appliquer les décisions précédentes de l'OTAN, à savoir l'installation de missiles de croisière et de missiles tactiques Pershing en Europe après 1983.

Les ministres de la Défense de l'OTAN ont fondé leurs arguments sur la publication, par les services de l'Alliance atlantique, d'une étude faisant état d'une nette supériorité militaire du pacte de Varsovie sur le camp occidental.

Pershing

Cette analyse évalue à 3 080 le nombre des armes nucléaires à moyenne portée de l'Union soviétique, contre 800 du côté occidental. Pour les seules armes nucléaires de courte porté, et, donc, à l'exclusion des 300 batteries de missiles SS-20 à 3 têtes nucléaires chacune, l'étude de l'OTAN estime que l'URSS s'apprête à déployer jusqu'à 650 missiles SS-22 et SS-23 de portée inférieure à 1 000 km, alors qu'il y a 108 missiles analogues du côté atlantique. C'est la raison pour laquelle les ministres de la Défense des pays alliés concernés considèrent de leur devoir d'accepter 108 missiles Pershing-2 et 464 missiles de croisière américains censés rétablir l'équilibre européen.