Il ne le sera pas davantage quand il s'opposera à ce que le Premier ministre prenne l'accord national du 17 juillet 1981 sur la durée du travail, que la CGT est le seul syndicat à ne pas avoir signé, comme base de l'ordonnance sur les 39 h et la 5e semaine. La CGT enregistre le 10 novembre 1981 « l'erreur » du rétablissement du 1 % Sécurité sociale pour les salariés. Autant de couleuvres difficiles à avaler. Mais la CGT a choisi une stratégie d'accompagnement, éventuellement et ponctuellement critique, de l'action gouvernementale, qui l'amène à dénoncer les résistances au changement, d'abord patronales, plutôt qu'à s'en prendre de front au pouvoir. Au besoin, celui-ci est attaqué par la bande, le 29 décembre, lorsque H. Krasucki adresse une mise en garde au PS, le 26 janvier, pour dénoncer l'immobilisme de la régie Renault.

Harcèlement

La CGT découvre également des formes nouvelles d'un harcèlement qui se veut positif. Elle a vu dans la déclaration présidentielle du 10 février soulignant que la réduction de la semaine hebdomadaire de 40 à 39 h devait s'opérer sans perte de salaire, un effet heureux des multiples actions dans les entreprises. Une telle attitude s'explique aussi par des raisons internes.

La CGT a besoin de se refaire une santé, alors que la contestation interne, marquée le 14 octobre par l'éclat de Jean-Louis Moynot et Christiane Gilles démissionnant du bureau confédéral et amplifiée par les événements de Pologne, et l'érosion très importante de ses effectifs comme ses revers répétés aux élections professionnelles symbolisent la plus sérieuse crise qu'elle ait connue depuis la scission de 1947. Repliée idéologiquement sur elle-même, Georges Séguy s'effaçant de facto avant même de céder le secrétariat général à H. Krasucki, elle entend se montrer ouverte face au gouvernement du changement.

La CFDT se veut, elle aussi, une partenaire constructive du nouveau pouvoir, mais elle n'entend ni lui servir de faire-valoir ni renoncer à son autonomie d'action. Voulant bâtir une société contractuelle, avant d'être autogestionnaire, Edmond Maire met en avant la nécessité de lutter contre les corporatismes au sein même du salariat et de construire de nouvelles solidarités, le partage du travail devant s'accompagner d'un partage des revenus. Mais il est animé par une double crainte. Celle, politique, de voir le parti socialiste reléguer le mouvement syndical sur le seul terrain revendicatif. Celle, économique, de voir le gouvernement échouer sur les récifs des réalités économiques. C'est ce qui amène E. Maire, le 14 octobre, à pousser un cri de colère (« les points de désaccord commencent à devenir sérieux »), le 17 février, à dénoncer « le faux pas sérieux » du chef de l'État sur la compensation salariale intégrale des 39 h et, d'une façon plus continue, à plaider pour la rigueur et la vérité.

Henri Krasucki

On lui avait préféré Georges Séguy, en 1967, pour succéder à Benoît Frachon. Les temps ont changé. Depuis, la CGT a connu diverses évolutions et quelques tourments. En juin 1982, Henri Krasucki, l'éternel numéro deux, en a très officiellement pris les rênes, au 41e congrès de Lille. De fait, cet homme d'appareil, ce gardien vigilant du caractère de classe de la centrale, ce fin tacticien ce redoutable négociateur exerce le pouvoir depuis de longs mois. Le nouveau secrétaire général est né le 2 septembre 1924 à Wolomin, en Pologne. Très jeune, avec ses parents, il fuit le régime militaire de Pilsudski, qui favorise un antisémitisme latent. À Paris, bon élève et doué pour les maths, il adhérera dès 1938 aux Jeunesses communistes. Résistant actif dans l'Unité juive, il est arrêté par la police française, puis déporté à Auschwitz et à Buchenwald.

Après sa libération en 1945, H. Krasucki grimpe très vite dans la hiérarchie du PC et dans celle de la CGT. En 1961, il entre au bureau confédéral de la CGT, où il aura en charge l'action revendicative. Trois ans plus tard, en 1964, il est élu au bureau politique du PC. Bien que profondément bouleversé par le rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline, il demeure un fidèle, et se classe parmi les durs. « Je n'ai jamais pu séparer le communiste du syndicaliste », dit-il, persuadé que la classe ouvrière n'a que deux authentiques défenseurs : le parti et la CGT.

Concertation

Car, alors que jamais sous la Ve République la concertation sociale entre le gouvernement et les syndicats n'a été aussi intense — P. Mauroy ayant par exemple réuni à deux reprises les partenaires sociaux sur la durée du travail —, un certain désenchantement syndical est né tant de la précipitation des réformes sociales que de leur faible traduction concrète comme de l'aggravation du chômage, qui après une période de relative stabilisation, a franchi, fin mai, la barre des 2 millions de demandeurs d'emplois en données corrigées des variations saisonnières.