Et le président Giresse, bien gentil et bien poli lui aussi, ne réussira jamais à mettre l'ancien ministre de l'Intérieur en difficulté.

L'audition de Jean Ducret, ancien directeur de la PJ de Paris n'ajoutera pas non plus d'éléments marquants. Et pourtant, il a commis pas mal d'erreurs, J. Ducret ; erreurs de diagnostic, de traitement de l'information, oublis ou excès de discrétion, erreurs qu'il reconnaît d'ailleurs. A-t-il servi le régime ? « Non, dit-il, quand en 37 ans de service on a servi sous 24 ministres de la Justice et autant de ministres de l'Intérieur, peut-on être accusé de devoir sa carrière à l'un plutôt qu'à l'autre ? »

Banalités

Roger Chinaud, comme Michel Poniatowski, est tout rond, tout souriant. Son interrogatoire porte surtout sur le rôle politique de Jean de Broglie. Réticent, il se réfugie dans les banalités. Il ne dira même pas clairement pourquoi il a été seul avec le député de l'Eure, René Tomasini, à assister aux obsèques de Jean de Broglie.

Le passage à la barre de Christian Bonnet, ancien ministre de l'Intérieur, n'apporte rien non plus.

Et puis vient Raymond Barre. Ce n'est pas tellement l'ex-Premier ministre qui parle : plutôt le professeur de philosophie. Jamais décontenancé, planant au-dessus des basses contingences. Le professeur Barre a parlé pendant une heure et demie pour ne rien apprendre à personne, mais rassurer tout le monde sur son intégrité morale.

Verdict modéré

Il faut bien arriver au réquisitoire de l'avocat général Dorwling-Carter : 7 heures ! Et aux plaidoiries, dont la plus attendue est sans doute celle de Me Lombard pour Paul de Varga.

Le verdict, modéré, tombe dans une quasi-indifférence. Dix ans de réclusion à Pierre de Varga, Guy Simoné et Gérard Frèche ; cinq ans à Serge Tessèdre.

La plupart des commentateurs qui ont suivi le procès sont fatigués. Ils en tirent une amère leçon ; la justice, une fois de plus, a été flouée.

Il s'est fait gangster pour prouver son innocence

Mort le 12 juin 1969, Roger Knobelspiess est revenu à la vie le 6 novembre 1981. Entre ces deux dates, 12 ans passés à crier son innocence, à demander justice parfois les armes à la main. Douze ans qui ont finalement fait du petit truand de Normandie un auteur à succès, coqueluche des émissions de télévision où on parle de justice. Désormais, le petit miséreux d'Elbeuf compte parmi ses amis un conseiller à la présidence de la République, Claude Manceron, un philosophe en renom, Roger Garaudy, plusieurs artistes ou comédiens, Yves Montand, Guy Bedos ou Denis Manuel.

Certains d'entre eux étaient venus à Rouen exposer aux jurés de Seine-Maritime, en octobre 1981, quelles injustices avait subies ce jeune homme de 34 ans, vieilli par le mitard et les grèves de la faim et qui comparaissait pour une série de 9 hold-up avec ses 4 complices.

Ces hold-up, Roger Knobelspiess les reconnaît et même les revendique. Il les a tous commis durant les 5 mois de sa cavale, de l'automne 1976 au printemps 1977. Mais on parlera peu de ces crimes durant les cinq jours de son procès. Le président de la cour d'assises a même des égards inusités pour ce repris de justice pas comme les autres. Car c'est un peu une certaine injustice sociale — et sans doute aussi une injustice tout court — qui est évoquée devant les jurés.

Le destin a conduit Roger Knobelspiess, comme il le dira lui-même à ses juges, « du quartier de la misère au quartier de haute sécurité ». Truand d'occasion, il est condamné à 15 ans de réclusion criminelle pour l'agression d'un pompiste commise en 1969. Il n'y a contre lui que les accusations d'un autre délinquant. Le pompiste ne l'a pas reconnu. Mais, sur ces maigres indices, pour 800 F dérobés sans doute par un autre, il est condamné à 15 ans. Roger Knobelspiess n'accepte pas. Pendant 5 ans, il hurle son innocence. En vain. Alors, en octobre 1976, il choisit de ne pas regagner sa prison après une permission de sortie.

Pour survivre, il multiplie les attaques de banques ou de stations-service, se jugeant « en état de légitime défense ». Repris, désespérant de faire reconnaître son innocence, il devient la forte tête des centrales où il est incarcéré, un habitué des quartiers de haute sécurité, les QHS, dont il décrira le régime dans son premier livre. Ses cris de révolte rencontrent un écho au sein de l'intelligentsia de gauche qui s'oppose au régime pénitentiaire.