Consommation

Les consommateurs ont désormais leur ministère

La création d'un ministère de la Consommation restera sans nul doute comme le fait marquant de la période 1981-1982.

Annoncée en juin 1981, cette naissance a surpris tant on était accoutumé à voir considérer ce secteur comme un sous-ensemble de l'Économie et des Finances. L'ex-secrétariat d'État à la consommation, animé par Christiane Scrivener, de janvier 1976 à avril 1978, était resté dans bien des esprits comme un département gadget, malgré ses nombreuses initiatives.

C'est peut-être pour convaincre les sceptiques que Catherine Lalumière a d'entrée de jeu mis les choses au point : pas question de se « limiter au panier de la ménagère » ; son ministère aura une vocation d'instance politique à part entière. Il est vrai qu'elle a sous la main un instrument cohérent, puisqu'elle exerce sa tutelle sur l'Institut national de la consommation et sur les services de la Répression des fraudes (traditionnellement rattachés au ministère de l'Agriculture).

Prônant le dialogue dans la fermeté, Catherine Lalumière intervient largement dans le débat consumériste, suscitant des réactions diverses de la part des partenaires. Elle développe son action autour de quatre axes prioritaires :
– en tout premier lieu, favoriser l'expression des consommateurs. Une réforme de l'INC est à l'ordre du jour, pour que l'Institut retrouve sa vocation première, celle d'un outil technique au service de la promotion des associations.
Cette réorientation a été assortie d'un changement de direction — le remplacement de Pierre Fauchon par Laurent Denis — qui ne fait pas l'unanimité ;
– la défense des consommateurs est également une des préoccupations majeures. Certes, on souhaite favoriser l'autodiscipline de la part des chefs d'entreprise, et le ministre a même repris le thème des conventions collectives de consommation que l'on aimerait voir se négocier par secteur. Les professionnels demeurent hostiles à de tels accords, qui font trop précisément référence au droit syndical.
Sur le plan législatif, hormis l'adoption de la loi Quilliot sur les rapports propriétaires-locataires, peu de dispositions nouvelles sont envisagées. Le cadre juridique existe et le ministère se propose seulement de le simplifier (une commission pour la refonte du droit de la consommation est mise en place en décembre 1981) et, surtout, de l'appliquer avec rigueur.
Le gouvernement suit au pied de la lettre certaines recommandations proposées par la Commission de la concurrence : 2,8 millions de F d'amendes ont notamment été infligés à divers syndicats pharmaceutiques, pour avoir boycotté les médicaments génériques (copies de remèdes tombées dans le domaine public) ;
– en matière de qualité, la priorité est donnée à la sécurité, et l'on prévoit la création d'un dispositif central de surveillance et de prévention des accidents domestiques. De nombreuses affaires, certaines d'une exceptionnelle gravité, suscitent l'inquiétude des consommateurs.
À la suite du drame de l'huile espagnole, dont la toxicité a fait plus de 10 000 victimes, le ministère adopte une série de mesures d'urgence pour suspendre l'importation des produits suspects. Également sur la sellette, 10 000 autocuiseurs Moulinex construits avant 1975, dont les écrous de serrage accusent de dangereuses faiblesses.
Devant le grand nombre d'accidents signalés, Catherine Lalumière impose au constructeur la révision — gratuite — de ses modèles, assortie d'une campagne nationale d'information. Le danger ne se limite pas au ménager. Le ministère a institué un système de surveillance pour renforcer les sanctions en matière de sécurité des produits ;
– le dernier volet de l'action ministérielle concerne l'information sur les prix. Catherine Lalumière envisage la création d'un Centre d'information, qui donnerait des fourchettes de prix acceptables pour les produits. Un tel système existe en Suède. Sa mise en place, en France, se heurte à de nombreux obstacles techniques.

Catherine Lalumière

Titulaire du tout neuf portefeuille de la consommation, Catherine Lalumière aborde un domaine difficile, où les partenaires se rencontrent plus volontiers devant les tribunaux qu'autour des tables rondes. Mais la formation et l'expérience du nouveau ministre, tournées vers le droit et la fonction publique, devraient lui permettre de réaliser ses ambitions : rendre ses lettres de noblesse à la consommation et en faire un département ministériel à part entière. Née le 3 août 1935 à Rennes, elle acquiert une formation de juriste : docteur en droit, elle obtient également un diplôme d'études supérieures de sciences politiques et d'histoire du droit. Optant pour la carrière universitaire, elle entame un périple qui la mènera de sa ville natale à Paris, via Bordeaux, devenant successivement assistante puis maître-assistante et chargée de conférences. Elle ne dédaigne pas la plume ; elle est l'auteur de nombreux articles et ouvrages consacrés au droit administratif. Entrée au parti socialiste à 38 ans, elle y acquiert rapidement des responsabilités : elle fait partie du groupe des experts un an plus tard, puis elle est nommée déléguée nationale à la fonction publique et devient membre du comité directeur en 1978. Si son nom apparaît dans le premier gouvernement Pierre Mauroy en mai 1981 (en tant que secrétaire d'État à la fonction publique et aux réformes administratives), la consécration arrive un mois plus tard, lorsqu'on lui confie le nouveau ministère de la Consommation.

Timides mesures

Le mouvement consommateur accueille positivement les premiers pas du ministère, mais la satisfaction n'exclut pas la vigilance. L'UFC, qui a fêté son trentième anniversaire en 1981, s'exprime haut et fort. Pour les consommateurs, sécurité et prix demeurent les préoccupations majeures.