Sciences

Prix Nobel

Physique

Le prix de physique a été attribué, par moitié, d'une part à Nicolas Bloembergen et Arthur Schawlow, d'autre part à Kai Siegbahn. Les deux premiers ont développé la technique d'analyse spectroscopique par rayonnement laser ; le troisième, l'analyse des surfaces par spectroscopie électronique. Arthur Schawlow avait travaillé, dans les années 50, à l'invention du laser, en coopération avec son futur beau-frère C. H. Townes, à qui ces travaux devaient valoir le prix Nobel de physique en 1964. Le premier article décrivant le dispositif d'émission stimulée d'un rayonnement amplifié de lumière cohérente (définition du laser), publié en 1958, était signé des deux hommes. L'attribution d'un prix Nobel à Schawlow est donc logique. Les progrès constants réalisés depuis dix ans dans la technologie des lasers ont conduit à utiliser la lumière cohérente pour une nouvelle méthode de spectroscopie. Lorsque l'énergie du faisceau lumineux qui traverse une substance correspond à la différence des niveaux d'énergie des atomes composant la cible, celle-ci absorbe une partie de la lumière. En faisant varier la longueur d'onde du faisceau laser — ce qui n'a commencé d'être réalisable que depuis 1970 —, on observe une série de raies d'absorption dont la connaissance permet de déterminer les états atomiques. Nicolas Bloembergen a étudié les phénomènes d'optique non linéaire : lorsque la lumière est suffisamment intense, comme peut être celle du laser, la substance n'est pas simplement traversée : elle interagit avec la lumière, en émettant des radiations nouvelles. Bloembergen a utilisé ce phénomène pour étendre aussi bien dans l'infrarouge que dans l'ultraviolet la région où l'on peut faire varier la longueur d'onde du faisceau laser, ce qui accroît l'intérêt de ce mode de spectroscopie. Quant à Kai Siegbahn, fils de Manne Siegbahn, il a en quelque sorte suivi la voie tracée par son père : celui-ci avait reçu le Nobel en 1924 pour ses travaux sur la spectroscopie des rayons X ; le fils se voit attribuer la même récompense pour avoir développé une méthode spectroscopique fondée sur l'effet photoélectrique des rayons X. Lorsqu'un photon irradie une surface solide, il provoque l'éjection d'un électron dont l'énergie cinétique est égale à celle du quantum incident diminuée de l'énergie de liaison que l'électron possédait à l'intérieur de l'atome. En outre, on observe parfois l'émission d'un deuxième électron — dit « électron Auger » — dû à un réarrangement interne de l'atome. Siegbahn et ses collaborateurs ont mis au point des dispositifs permettant de sélectionner des rayons X d'énergie bien définie, de les diriger sur les échantillons et de mesurer avec une grande précision le nombre et l'énergie des électrons produits. Leur spectre révèle les liaisons chimiques dans lesquelles est engagé l'atome émetteur. Ces informations sont particulièrement utiles pour l'étude de l'absorption de molécules étrangères sur une surface solide, molécules qui interviennent dans les phénomènes de catalyse et de corrosion.

Arthur L. Schawlow

Américain. Né le 5 mai 1921 à Mount Vernon (État de New York). Études à l'université de Toronto. Chercheur à l'université Columbia de New York.

De 1951 à 1961, travaille dans les laboratoires de la Bell Telephone. En 1961, nommé professeur de physique à l'université Stanford (Californie).

Consultant de diverses sociétés de technologie de pointe dans la spectroscopie optique, les micro-ondes, l'électronique quantique, la supraconductivité. A pris part à l'invention du laser. Membre de l'Académie nationale des sciences des États-Unis.

Nicolas Bloembergen

Américain d'origine néerlandaise. Né le 11 mars 1920 à Dordrecht (Pays-Bas). Études supérieures à l'université d'Utrecht, puis à celle de Leiden. En 1952 se fixe aux États-Unis, où il sera naturalisé en 1958. D'abord professeur associé, puis, à partir de 1957, professeur de physique appliquée à l'université Harvard. Ses recherches portent sur le pompage des masers, la résonance magnétique nucléaire et la résonance ferromagnétique. Membre de l'Académie nationale des sciences des États-Unis, de l'Académie royale des Pays-Bas, associé étranger de l'Académie des sciences française.

Kai Siegbahn

Suédois. Né le 20 avril 1918 à Lund. En 1944, docteur en physique de l'université de Stockholm. En 1951, professeur de l'École royale de technologie de Stockholm. Depuis 1954, professeur à l'université d'Upsal, où il enseigne la physique atomique et moléculaire. C'est avec une équipe de cette université qu'il a élaboré l'ESCA (Electron Spectroscopy for Chemical Analysis) qui complète et prolonge la spectroscopie des radiations électromagnétiques.

Chimie

La chimie théorique classique a fourni une explication claire de la structure des atomes et des molécules, ainsi que de la nature des réactions chimiques, ramenées essentiellement à des échanges d'électrons. Elle a cependant échoué à prédire toutes les réactions possibles ; plus encore, elle n'a pas élucidé les mécanismes de certaines réactions banales, notamment dans les composés organiques. L'introduction dans la chimie de la mécanique quantique aurait dû en principe combler ces lacunes ; mais la surabondance des informations qu'elle apporte complique les calculs et rend les résultats difficiles à interpréter quant à leur signification chimique. C'est ce nœud gordien que Keniski Fukui a proposé de trancher en ne retenant pour chaque molécule que deux orbitales (les orbitales étant les fonctions d'onde qui définissent les niveaux d'énergie pouvant être occupés par des électrons) : la plus haute orbitale occupée et la plus basse vacante. La première de ces orbitales frontières renseigne sur le caractère donneur d'électrons de la molécule considérée, la plus basse sur son aptitude à recevoir des électrons. Les orbitales intermédiaires peuvent dès lors être négligées et des calculs beaucoup plus simples conduisent à prévoir la réactivité de la molécule. D'abord rejetée au nom de l'orthodoxie quantique, cette méthode a été reprise et développée par Hoffmann et Woodward, qui en ont montré toute la fécondité, en lui associant celle des diagrammes de corrélation, qui suivent par déformation continue la transformation des orbitales moléculaires de l'état initial à l'état final. Si la transformation peut se faire sans qu'aucune orbitale occupée subisse une importante variation d'énergie, c'est que la réaction étudiée est facile. Des considérations de symétrie permettent de tracer ces diagrammes sans calcul, une fois définies les orbitales moléculaires de départ et d'arrivée. Woodward et Hoffmann ont élaboré le concept de conservation de la symétrie des orbitales : combiné avec la méthode d'approximation de Keniski Fukui ou avec celle des diagrammes de corrélation, il permet de formuler des règles de sélection. Appelées aujourd'hui règles de Woodward-Hoffmann, elles rendent compte de réactions restées auparavant inexpliquées. Woodward, aujourd'hui décédé, avait reçu le prix Nobel de chimie en 1965 ; son attribution à Keniski Fukui et à Hoffmann, en 1981, achève de couronner une série de travaux qui ont jeté un pont entre la chimie théorique et la chimie expérimentale, en permettant à celle-ci d'intégrer la mécanique quantique.

Keniski Fukui

Japonais. Né le 4 octobre 1918 dans la préfecture de Nara. En 1948, obtient le doctorat à l'université de Kyoto. Devient professeur de chimie physique à la même université en 1951 (département de chimie des hydrocarbures, faculté d'ingénierie). L'année suivante, il introduit la méthode des orbitales frontières qui permet, grâce à des simplifications, d'utiliser les données de la mécanique quantique pour expliquer ou prévoir les réactions chimiques. Ses idées, d'abord critiquées par des théoriciens qui leur reprochaient de n'être que des « approximations grossières », devaient être reprises en 1965 par Roald Hoffmann et R. B. Woodward. Le prix Nobel vient consacrer la revanche de Keniski Fukui.

Roald Hoffmann

Né le 18 juillet 1937 à Zloczow (Pologne). Émigré aux États-Unis en 1949, naturalisé américain en 1955. Docteur de l'université Harvard en 1962. De 1965 à 1968, professeur associé à l'université Cornell, à Ithaca (État de New York), où il collabore avec R. B. Woodward, prix Nobel de chimie en 1965, connu pour ses dons d'expérimentateur. Depuis 1968, professeur de sciences physiques à l'université Cornell. En 1977, il devient docteur honoraire de l'Institut royal de technologie de Stockholm.

Économie

Le choix de l'académie suédoise a été d'autant plus remarqué que le lauréat, qui fut l'un des conseillers économiques de la Maison-Blanche sous l'administration du président John Kennedy, a sévèrement critiqué, en 1981, la politique économique du président Ronald Reagan. L'objectif de ce dernier se ramène, selon James Robin, à « redistribuer la richesse, le pouvoir et la liberté d'entreprendre en faveur des riches, des puissants et de leurs héritiers ». Il prédit que le contrôle de la masse monétaire, tel qu'il est pratiqué par l'Institut fédéral d'émission, « ne permettra pas une croissance de l'économie à moins que la progression des prix et des salaires ne diminue de 10 à 20 % ». On retrouve, dans ce débat, l'écho des discussions qui opposèrent, lors de la grande dépression des années 1930, les tenants conservateurs de la théorie classique aux partisans des idées keynésiennes. Pour les premiers, la stabilité de la monnaie est l'objectif majeur, auquel tous les autres, en particulier les objectifs à caractère social (emploi, conditions de travail), doivent être subordonnés. Les mécanismes naturels des marchés rétablissent alors l'équilibre économique lorsqu'il s'est trouvé en péril. Cet ultralibéralisme monétariste a notamment inspiré, dans un passé récent, Milton Friedman, lui aussi prix Nobel d'économie (1976). À l'opposé, John Maynard Keynes (1883-1946) a développé, précisément dans les années 1930, une analyse liant l'équilibre économique, non à des mécanismes neutres, mais à des fonctions à caractère psychologique dans lesquelles interviennent les choix des cellules domestiques et des chefs d'entreprise. Ces idées ont fortement influencé le New Deal de Franklin Roosevelt, puis, après la Deuxième Guerre mondiale, la politique économique des administrations démocrates de Washington. James Tobin peut être défini comme un néo-keynésien, qui a complété les lacunes de l'édifice théorique de Keynes en élaborant une théorie dite « des portefeuilles » qui analyse les interactions des marchés financiers et des marchés réels. Durant la dernière décennie, il est allé plus loin en se ralliant à une intervention raisonnée de l'État dans l'équilibre des revenus et des prix ainsi que sur le marché du travail, et en préconisant une taxation des mouvements de capitaux.

James Tobin

Américain, né le 5 mars 1918 à Champaign (Illinois). Enseigne à l'université Harvard de 1946 à 1950. Membre du conseil économique de la Maison-Blanche en 1961 et 1962, sous l'administration Kennedy. Depuis 1950, professeur à l'université Yale, où il est le maître d'une école néo-keyhésienne qui s'oppose aux économistes ultra-libéraux de Chicago. Auteur de plusieurs ouvrages dont La politique nationale et La nouvelle politique économique dix ans après. Il est le dixième Américain à recevoir le prix Nobel d'économie, fondé par la Banque d'État suédoise en 1969.

Médecine et physiologie

Il y a quelque cent vingt ans, Paul Broca, en démontrant que la lésion d'une zone précise de l'hémisphère gauche entraînait la perte du langage, ouvrait l'ère d'une étude scientifique des localisations cérébrales. Depuis, la neurophysiologie n'a cessé de découvrir dans le cerveau de nouvelles localisations fonctionnelles et d'explorer leurs connexions ainsi que leurs potentialités de substitution. Le prix de médecine et physiologie va cette année pour une moitié à Roger Sperry, qui a élucidé le rôle respectif de chaque hémisphère dans les fonctions cognitives, et pour l'autre moitié à David Hubel et Torsten Wiesel, pour leurs découvertes sur les mécanismes corticaux de la vision. Sperry a spécialement étudié le comportement des sujets chez qui l'on a pratiqué une section du corps calleux, formation relais entre le cerveau droit et le cerveau gauche. Après avoir d'abord utilisé l'expérimentation animale, l'observation a porté sur des malades atteints de formes très sévères d'épilepsie, dont l'état est amélioré par une section du corps calleux. Chez ces sujets, les informations stockées dans un hémisphère cérébral ne sont pas disponibles pour l'autre. Les observations sur ces cerveaux dédoublés se multiplient depuis une vingtaine d'années. Elles ont permis de localiser un grand nombre de fonctions psychiques dans l'un ou l'autre hémisphère. Dernièrement, des différences anatomiques ont même été découvertes ; certaines régions sont plus développées dans l'hémisphère gauche. Cependant, le débat reste ouvert pour savoir si la latéralisation (qui donne dans l'espèce humaine une majorité de droitiers) est vraiment d'origine génétique ou si elle ne ressortit pas à des facteurs culturels. De leur côté, Hubel et Wiesel ont découvert, en expérimentant sur le singe et le chat, que le cortex visuel, qui reçoit les messages de la rétine, contient des couches entrecroisées de cellules réceptrices étroitement spécialisées dans la perception d'un aspect particulier de l'environnement, par exemple l'orientation verticale ou horizontale des objets. Des animaux placés dès leur naissance dans un environnement artificiel — par exemple avec absence de toutes lignes horizontales — ne réagissent plus qu'aux lignes verticales. Cette carence est irréversible, à moins que les stimulations horizontales soient rétablies avant un âge limite (six mois pour les chats). Là se pose encore le problème de l'inné et de l'acquis. Il semble qu'il existe un grand nombre de types génétiquement déterminés de cellules corticales. Leur développement est ensuite fonction des stimulations extérieures, qui opèrent une sélection destinée à devenir définitive après un certain temps. Mis en évidence dans le cortex visuel, ces mécanismes peuvent être largement extrapolés à tout le cortex, siège de notre intelligence.

Roger Wolcott Sperry

Américain. Né le 20 août 1913 à Hatford (Connecticut). Diplôme de l'Oberlin Collège en 1935 ; études de zoologie à l'université de Chicago. Chercheur à l'université Harvard, dans un laboratoire de biologie des primates. De 1946 à 1952, enseigne l'anatomie à l'université de Chicago. De 1952 à 1954, dirige le service de neurologie du développement à l'Institut national de la santé des États-Unis. Depuis 1954, enseigne la psychobiologie à Pasadena (Californie). A publié divers travaux sur le fonctionnement du système nerveux central, particulièrement dans les domaines de la perception, de l'apprentissage et de la mémoire.

David H. Hubel

Américain d'origine canadienne. Né le 27 février 1926 à Windson (Ontario). Études à la McGill University, où il devient docteur en médecine en 1951. Pendant trois ans, étudie la neurologie clinique au Montreal Neurological Institute. En 1954, entre au John Hopkins Hospital, puis, en 1955, entreprend des recherches de neurophysiologie au Walter Reed Army Institute of Research de Washington, et les poursuit depuis 1959 à la Harvard Medical School. Nombreux travaux sur la fonction visuelle (œil et cerveau) chez les mammifères supérieurs et l'homme.

Torsten Nils Wiesel

Suédois. Né le 3 juin 1924 à Upsal. Docteur en médecine en 1954 au Karolinska Institutet de Stockholm. Assistant de physiologie à l'Institut royal suédois de chirurgie (1954), puis assistant de psychiatrie infantile au même institut (1955), il se fixe aux États-Unis tout en gardant la nationalité suédoise. Il est boursier de l'Ophtalmological Medical School Hopkins (1955-1958), puis professeur assistant de physiologie de la vision (1959).