Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences de ces changements. Pour le moment, des statuts juridiques ont été modifiés et de nouveaux patrons ont été nommés. Mais l'essentiel reste à faire : pour l'État, définir une politique industrielle nationale, et, pour les entreprises nationalisées, développer leurs activités dans le cadre de cette stratégie. On n'en verra les conséquences que dans un an ou deux.

Entreprendre

Cela dit, il ne faut pas grossir exagérément les bouleversements en cause. Derrière la fluctuation des apparences, trois réalités demeurent.

– L'augmentation quantitative du domaine public n'est qu'une étape de plus dans le processus de dépendance croissante de l'économie vis-à-vis de l'État. Et c'est un processus qui a commencé avec Colbert, s'est poursuivi avec Napoléon, et s'est concrétisé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale par la nationalisation des plus grandes banques et de Renault, pour ne citer que les exemples les plus voyants. Depuis, et notamment sous la présidence de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing, l'État n'a cessé de s'intéresser de plus en plus près a la politique industrielle et à la politique du crédit. Autrement dit, les nationalisations de 1982 ne changent pas vraiment la nature des rapports entre les pouvoirs publics et la vie des affaires.

– De plus, les gouvernements ont toujours eu les moyens juridiques de faire sentir leur influence. Sans parler des entreprises d'État qui existent depuis longtemps, un établissement public comme la Caisse des dépôts détenait — et détient encore — dans nombre de grands groupes privés des participations suffisamment significatives pour que, le cas échéant, des pressions soient faites dans un sens ou dans un autre.

– Enfin, que ce soit avant ou après le 10 mai 1981, les chefs d'entreprise sont habitués à tirer la sonnette de l'État dès qu'ils ont un gros problème d'emploi, de restructuration ou de trésorerie. Bref, en France, l'étroitesse des relations entre l'industrie et les pouvoirs publics ne date pas d'aujourd'hui. Ce phénomène original n'a d'ailleurs pas toujours donné de mauvais résultats.

Toutefois, par nature, il présente deux risques : faire faire à l'État un métier qui n'est pas le sien, ce qui peut le conduire à pécher par incompétence ; et faire oublier aux patrons le métier qui est le leur — entreprendre — ce qui serait grave pour l'avenir de l'industrie française. C'est l'existence de ce double risque qui sous-tend le débat, ouvert depuis longtemps et jamais clos, sur le complexe industrialo-administratif à la française.

Énergie

Le grand tournant pétrolier

1981 restera dans l'histoire comme l'année du grand tournant dans la crise énergétique mondiale qui avait éclaté à la fin de 1973. Après des années de hausse, le prix du pétrole s'est orienté franchement à la baisse. La stagnation de l'activité et les efforts d'économie d'énergie ont fini par créer une pléthore de combustibles liquides, obligeant les producteurs non seulement à réduire l'extraction, mais à comprimer leurs prix pour garder des clients.

Rude épreuve

Ce renversement met à rude épreuve l'OPEP. Les difficultés d'écoulement exacerbent en effet les divergences en son sein entre les pays fortement peuplés, ayant de grands programmes d'équipement à financer et donc un besoin vital de continuer à vendre, et les autres, qui pourraient supporter facilement une baisse de leurs ressources.

Si l'OPEP était un véritable cartel, elle orchestrerait des réductions de production afin de maintenir les prix ; c'est bien d'ailleurs ce qu'elle a tenté de faire cahin-caha, à l'occasion de ses réunions à Genève (29 octobre 1981), à Abou Dhabi (13 décembre 1981) et à Vienne (19 mars 1982). Mais en réalité les grands pays producteurs, officiellement ou clandestinement, n'ont cessé depuis l'été 1981 de baisser leurs prix en ordre dispersé. Sur le marché libre (qui accentue toujours les mouvements de prix), où le baril avait coté plus de 40 dollars, on en trouvait au printemps 1982 à moins de 28 dollars, voire dans certains marchés de troc, à 22 dollars.