Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Sans doute ces récriminations sont-elles surtout le fait de catégories favorisées, de gens qui ont fait des études, ont des idées sur le contenu de l'enseignement. Mais les changements de programmes et les polémiques à ce sujet finissent par inquiéter tout le monde : en histoire, par exemple, mais aussi en français ou en calcul, chacun a gardé quelques vagues souvenirs de l'école primaire et s'étonne de ne pas les retrouver. Souvent les catégories sociales modestes sont le plus attachées à l'apprentissage des bases — et se méfient, par principe, des réformes pédagogiques. Et, quand on ne trouve pas ailleurs d'éléments de satisfaction, on est porté à adopter l'hypothèse pessimiste.

Orientation

Le système d'orientation est un des aspects les plus critiqués de l'enseignement. Il contribue, au moins autant que les réformes de programmes et de structures, à donner l'impression de complexité et de lourdeur ; les réponses aux sondages lancés en septembre 1973 par Joseph Fontanet en témoignaient déjà (Journal de l'année 1973-74).

Le mécontentement était moindre quand l'orientation n'était pas réglementée : chacun se débrouillait comme il pouvait et s'estimait heureux du résultat. La mécanique progressivement mise en place depuis 1965 (va-et-vient entre les vœux des parents, les propositions puis les décisions des professeurs ; enfin l'affectation dans une section et un établissement scolaire), loin de donner un sentiment de sécurité, provoque l'irritation. On en ressent le côté contraignant, l'aspect administratif : parents et élèves ont souvent plus l'impression de subir que de choisir une voie scolaire ou une formation professionnelle.

Un rapport rédigé en 1980 par Bernard Jouvin, conseiller d'État, à la demande des ministères de l'Éducation et du Travail et du secrétaire d'État à la Formation professionnelle, le souligne : « La grande majorité des intéressés subit le processus d'orientation plus qu'elle ne l'utilise. » Ce sentiment est particulièrement vif chez les jeunes — et leurs familles — qui doivent choisir une formation professionnelle dès la fin de la cinquième. Cette frustration est souvent responsable d'échecs ultérieurs : la majorité des jeunes qui abandonnent avant la fin une préparation à un CAP déclarent n'avoir pas obtenu la section qu'ils souhaitaient.

Consumérisme

Enfin, dans la mesure où les besoins quantitatifs sont en grande partie satisfaits, où l'accueil des enfants est assuré, les parents deviennent plus exigeants à l'égard de l'école, plus difficiles sur les conditions matérielles (l'absence d'un professeur, le non-remplacement d'un instituteur). Consumérisme qui irrite beaucoup les responsables du ministère de l'Éducation.

Dans quelle mesure tous ces reproches sont-ils justifiés ? Le niveau des études — et des élèves — baisse-t-il vraiment ? Des enquêtes faites par l'INRP en 1976-77 montrent que les impressions sont trompeuses. À la fin de l'école primaire, par exemple, les élèves sont plus nombreux que dans les années 60 à maîtriser multiplication et division, malgré l'introduction — très limitée — des mathématiques modernes. Mêmes résultats en orthographe.

Mais les succès paraissent varier plus qu'autrefois d'une école à l'autre. Et, si les redoublements sont moins fréquents à l'école primaire qu'il y a dix ou vingt ans, le niveau des élèves à l'entrée en sixième reste très hétérogène. Situation qui préoccupe les responsables de l'enseignement : « Il faut impérativement réduire l'hétérogénéité des élèves entrant en sixième », déclare, en février 1981, Christian Beullac, ministre de l'Éducation, dans une interview au Monde de l'éducation.

Insécurité

Les innovations ne se sont pas toujours montrées efficaces, faute d'avoir été appliquées avec suffisamment de persévérance. L'école primaire, qui ne fait plus que préparer à la poursuite de la scolarité, n'a plus d'objectifs clairs, et le collège n'en a pas encore : il n'a pas encore réussi à dégager ce « bagage culturel commun » annoncé par René Haby. Avec la prolongation de la scolarité, l'enseignement s'est intellectualisé, ses méthodes ont perdu de leur rigueur. À l'école comme ailleurs, la discipline a cessé d'être une vertu cardinale et, du coup, l'on est porté à rendre l'école responsable des comportements nouveaux des adolescents et des conflits de générations.