Journal de l'année Édition 1980 1980Éd. 1980

Dossier : ils sont 52 millions qui travaillent

L'Année internationale de l'enfant, proclamée par l'ONU, s'est achevée fin décembre 1979. Les médias, pour l'occasion, se sont ouverts aux problèmes de la condition faite aux gosses dans le monde d'aujourd'hui, et le principal mérite de cette année internationale est d'avoir sensibilisé l'opinion. Certes, le problème n'est pas nouveau, mais il semblait dormir au fond des cartons des grandes organisations internationales et des gouvernements.

Accablant

Toutes les législations nationales considèrent comme illégal le travail des enfants. Il n'en demeure pas moins que c'est une tragique réalité quotidienne un peu partout dans le monde. Pour de multiples raisons, il est difficile de dresser un bilan parfaitement exact de l'enfance exploitée. C'est pourtant ce qu'a tenté de faire le BIT, à Genève, dont le rapport publié au début de l'été 1979 est un document accablant.

Un chiffre exorbitant : plus de 52 millions d'enfants de moins de 15 ans travaillent dans un univers d'adultes indifférents à leur souffrance ; le froid, la faim et le manque d'hygiène ruinent leur santé dès l'adolescence. L'Asie détient le triste record de cette exploitation avec 40 millions d'enfants au travail, dont 29 millions dans la région du Sud-Est, suivie de l'Afrique (9,7 millions) et de l'Amérique latine (3,3 millions). Les pays déshérités ne sont pas les seuls à avoir le triste privilège de maintenir les enfants dans un type d'esclavage tacitement admis. On trouve des enfants au travail en Amérique du Nord (0,3 million) et en Europe (0,7 million) ; le cas le plus douloureux, en Europe, restant l'Italie avec, en particulier, les quartiers miséreux de Naples.

En Inde, dans la région de Meghalaya, les enfants de 8-12 ans travaillent plus de 13 heures par jour dans les mines de charbon. D'autres enfants âgés de 5-6 ans fabriquent des cigarettes, taillent la pierre, cisèlent des métaux, ramassent les ordures. Les touristes les découvrent mécaniciens, cantonniers, goudronneurs, maçons. À Bangkok, les petites filles travaillent dans les fabriques de bonbons ou de jouets. Le même scénario se retrouve en Colombie, en Bolivie, en Mauritanie, au Pakistan, en Turquie...

Les enfants sont employés dans tous les secteurs de l'économie. En Europe, comme par exemple en Grèce, 54 % de la population de moins de 15 ans travaillent dans l'agriculture, 32 % dans l'industrie et le bâtiment, 14 % dans le commerce et les services. Au Maroc, un nombre considérable d'enfants participent à une des richesses du pays, la fabrication des tapis.

Le rapport du BIT indique aussi que les enfants travaillent partout plus de 10 heures par jour ; les vacances comme les jours fériés ne sont pratiquement jamais respectés. Le salaire est le plus souvent dérisoire, voire inexistant. Et, quand l'enfant se voit reconnu un statut de salarié, pour le même travail qu'un adulte, sa rémunération est inférieure de 50 % environ.

La déclaration des droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1959 par l'ONU, est presque partout bafouée. Elle stipule pourtant que « l'enfant doit en toute circonstance être parmi les premiers à recevoir protection et secours ».

Réquisitoire

Comme les journaux, l'édition a fait écho à cette Année internationale de l'enfant. Parmi les ouvrages publiés, le Journal de l'année a retenu Les enfants au travail aujourd'hui, un réquisitoire impitoyable de deux Britanniques, James Challis et David Ellman, qui ont levé le voile sur les enfants martyrs : on mutile des enfants en Inde pour en faire des mendiants, on les vend en Thaïlande. Dans les pays de forte population indienne, comme la Bolivie, des petites filles sont adoptées à l'âge de 3 ans par des familles riches ; jeunes filles, elles sont un objet de plaisir pour les fils de ces familles, et leurs enfants à leur tour deviendront des esclaves. Cercle infernal, à Bombay comme à Naples, Istanbul ou Lima, des gamines de 13 ans se prostituent pour survivre. Et comment passer sous silence les enfants victimes de la révolution au Nicaragua, de la guerre au Cambodge, en Afghanistan, ces enfants torturés au Chili ou en Afrique, ces enfants martyrisés (en France même, ils sont 40 000, comme en témoigne le rapport de la fondation Anne-Aymone Giscard d'Estaing) ?

L'OMS, dans son dernier rapport, prévoit en 1980 la mort, par malnutrition, de 12 millions d'enfants, sur les 122 millions de nourrissons nés en 1979. Sur 450 millions de personnes souffrant de malnutrition, dans le monde, 100 millions sont des enfants de moins de 5 ans.

Chaque jour, dans le monde, des enfants souffrent, meurent de faim, de froid, de mauvais traitements, parce que la protection de l'enfance reste tout simplement à réaliser. Il faut bien l'admettre, cette Année internationale de l'enfant, sur le plan des décisions et des mesures concrètes, se solde par un constat d'impuissance.