Faits divers

Le rapt du baron Empain

À 41 ans, Édouard-Jean Empain est de ces hommes à qui la vie n'a rien refusé. Héritier du troisième groupe financier français, il est à la tête d'un holding, le groupe Empain-Eichneider, qui emploie 120 000 personnes et brasse 22 milliards de chiffre d'affaires. Marié, père de quatre enfants, celui que ses amis ont surnommé Wado est peu connu du grand public. Il préfère les clubs de tirs et les cercles de jeux aux réunions mondaines.

Troisième baron du nom — son grand-père a été anobli en 1907 — Édouard-Jean Empain a su négocier le grand virage industriel des années 70. Framatome, une des filiales de son empire, est devenu le numéro un pour la construction des chaudières nucléaires.

Et, le 23 janvier 1977, lorsqu'il monte à l'arrière de sa 604 métallisée devant son domicile du 33 avenue Foch — un des immeubles les plus luxueux de Paris —, le baron Édouard-Jean Empain est sûr d'avoir l'avenir et la chance pour lui.

Premier acte

Cent cinquante mètres plus loin, son destin bascule. Deux camionnettes mal garées obligent son chauffeur, Jean Denis, à ralentir. Un cyclomotoriste survient, et couche son engin devant la voiture pour la contraindre à stopper. Un homme masqué menace le chauffeur, le fait monter dans une des camionnettes, deux autres s'installent à l'arrière de la 604 aux côtés du baron Empain, tandis qu'un quatrième complice prend le volant.

Quelques secondes plus tard, les deux véhicules disparaissent en haut de l'avenue Foch. Relâché porte Dauphine, le chauffeur donne l'alerte. La camionnette où il a été jeté est retrouvée un peu plus loin.

Le premier acte de l'affaire Empain est terminé. Et, pendant 63 jours, on attendra en vain le second, sur fond d'angoisse, d'hypothèses et de fausses pistes.

Dans la soirée du 23 janvier, on retrouve la 604 du baron abandonnée dans un parking souterrain de la porte Champerret. Les ravisseurs se sont manifestés quelques heures plus tôt, en téléphonant au domicile du baron. Mais l'audace de leur entreprise est telle que l'enlèvement est revendiqué en quelques jours par plusieurs organisations politiques : les NAPAP — qui démentiront ensuite —, le groupe d'extrême droite flamand Joris Van Severen sont les seuls à poser des exigences pour la libération de l'homme d'affaires franco-belge.

L'émotion est telle que le garde des Sceaux, Alain Peyrefitte, qui assure l'intérim du Premier ministre, lance un appel au civisme des Français, leur demandant d'être « vigilants » et de « concourir de toutes leurs forces à l'arrestation des coupables ». D'énormes moyens sont mis en œuvre. Dans la région parisienne, les barrages ne se comptent plus. En trois jours, 240 000 véhicules sont contrôlés, 12 000 habitations visitées. Cela ne va pas sans problème, et une polémique s'engage sur le droit de fouille des coffres de voiture, que les pouvoirs publics ont autorisée exceptionnellement, au nom du flagrant délit.

Contacts

Pendant ce temps, les ravisseurs ont entamé des négociations avec l'entourage du baron. Ils envoient à la famille une lettre manuscrite de leur otage. Mais, pour contraindre celui-ci à l'écrire, ils n'ont pas hésité à lui couper une phalange de l'auriculaire gauche avec un couteau de cuisine. Sur leurs indications, la police retrouve ce morceau de doigt dans un casier de la consigne automatique de la gare de Lyon.

Les gangsters exigent d'abord 100 millions pour relâcher le baron Empain, puis acceptent de transiger à 40 millions. Courant février, un premier rendez-vous est manqué à Megève. La police repart en chasse, suit des pistes en Italie — où l'industrie du rapt fleurit —, à Marseille, à Lyon, où début mars on retrouve une carte d'une société de chasse au nom d'Édouard-Jean Empain. En vain.

Et puis, vers le 20 mars, le contact est renoué entre les ravisseurs et les négociateurs désignés par le groupe Empain-Schneider, et qui sont conseillés par un ancien responsable de la PJ, Max Fernet. Le jeudi 23 mars, un policier, qui a pris la place du négociateur, est promené de message en message à travers la banlieue sud de Paris. Ayant acquis la certitude que l'homme qui leur apportera la rançon n'est pas suivi, les ravisseurs lui fixent un rendez-vous le lendemain sur l'autoroute du sud, près de L'Haÿ-les-Roses, au niveau d'une borne d'appel de détresse. La voiture du policier s'arrête à l'endroit indiqué, attend... et est rejointe par un dépanneur qui croit à une panne et propose ses services. Pensant avoir affaire à des policiers, les truands se précipitent l'arme au poing, s'emparent des sacs de la rançon — bourrés de papier — et prennent la fuite. C'est alors que la voiture banalisée qui suivait le négociateur-policier se rapproche, des coups de feu éclatent. En quelques secondes, la fusillade est générale. Un des gangsters, Daniel Caillol, est arrêté.