Sciences

Prix Nobel

Physique

Les lauréats voient récompenser « leurs travaux théoriques fondamentaux sur la structure magnétique des systèmes magnétiques et désordonnés ». Le dénominateur commun de leurs recherches est l'application de la mécanique quantique à des domaines tels que la physique des solides. Tout en constatant les lois des champs magnétiques et électriques ainsi que des phénomènes comme la conductivité et la semi-conductivité, la physique échouait naguère à en donner une théorie générale, capable par exemple d'expliquer certains effets imprévus ou d'en prédire d'autres, trouvés ensuite par l'expérience. Dans l'atome, chaque électron crée un petit champ magnétique, dont les caractéristiques sont en relation avec son spin, nombre quantique qu'on peut se représenter comme traduisant la rotation de la particule sur elle-même. Lorsque les trajectoires électroniques sont distribuées au hasard dans l'espace, la résultante des champs magnétiques individuels est nulle ou négligeable. Quand elles s'orientent dans une même direction, soit provisoire (sous l'action d'un champ extérieur), soit permanente (dans la structure semi-rigide d'un réseau cristallin), la matière acquiert des propriétés magnétiques : c'est le ferromagnétisme, longtemps étudié par Van Vleck. Autre découverte : le comportement des électrons dans les semi-conducteurs amorphes. Les verres et divers alliages n'ont pas de réseau cristallin ordonné, mais une structure désordonnée, aléatoire. Anderson et Mott ont montré que des électrons peuvent alors, dans certains cas, se trouver localisés, piégés. Un tel matériau présente des propriétés semblables à celles des semi-conducteurs cristallins. Il y a une vingtaine d'années, cette découverte présentait surtout un intérêt théorique. Elle trouve aujourd'hui d'importantes applications. On espère fabriquer bientôt des cellules photovoltaïques 250 fois moins chères que les actuels cristaux de silicium, autorisant la conversion directe à l'échelle industrielle de l'énergie solaire en électricité. D'autres matériaux, comme les alliages spéciaux, sont inventés et produits grâce à des considérations théoriques sur la structure des édifices atomiques et les mouvements des électrons qui les traversent. Récemment, on a commencé à élucider un phénomène paradoxal : dans certaines situations, un même matériau passe d'un état isolant à un état métallique où il devient bon conducteur.

Philip Anderson

Américain. Né en 1923 à Indianapolis (Indiana). Études à Harvard. En 1943, entre aux laboratoires de recherche de la marine américaine. Depuis 1949, travaille aux laboratoires de la Bell Telephone. Depuis 1967, professeur de physique théorique à l'université de Cambridge (G.-B). Membre de l'Académie des sciences des États-Unis. Outre les recherches qui lui valent le prix Nobel, Anderson a fait avancer la théorie de la superfluidité, propriété étrange rencontrée dans l'hélium et dans certains métaux supraconducteurs.

Sir Nevil Mott

Anglais. Né en 1905 à Leeds (G.-B.). Études à Cambridge. Enseigne à l'université de Manchester, à Cambridge, à Bristol, de nouveau à Cambridge. Théoricien de la mécanique quantique et de son application aux solides, particulièrement aux métaux. S'intéressant aux empilements d'atomes et aux dislocations des réseaux cristallins, en même temps qu'aux mouvements des électrons, il est le créateur d'une école de métallurgie physique représentée notamment en France par son élève J. Friedel.

John Hasbrouck Van Vleck

Américain. Né en 1899 à Middletown (Connecticut). Docteur en philosophie en 1922, es sciences en 1966, à Harvard. Professeur de physique à l'université du Minnesota (1927-1928) ; de physique théorique à l'université du Wisconsin (1928-1934) ; de physique mathématique à Harvard depuis 1935. Pendant la dernière guerre, étudie l'absorption des ondes radar par l'atmosphère.

Chimie

Le lauréat est un spécialiste de la thermodynamique, branche de la physique originellement vouée aux transformations réciproques de la chaleur et du travail, mais que ses généralisations théoriques ont conduite à tenir un rôle grandissant dans un grand nombre de sciences. Le second principe de la thermodynamique, ou principe de Carnot, pose que, dans un système matériel isolé, les structures tendent à disparaître et l'énergie à se dégrader en énergie thermique. Cette évolution est exprimée par l'entropie. Le principe de Carnot a inspiré des extrapolations hasardeuses, comme l'idée d'une mort thermique de l'Univers et l'existence d'un mystérieux principe particulier aux systèmes vivants, qui les affranchirait de la loi commune : ils organisent en effet la matière et diminuent donc l'entropie. Mais les systèmes en état d'équilibre sont des abstractions. Tout système en équilibre reste habité de phénomènes, dits dissipatifs, de transport d'énergie et de matière. Quand ils s'accroissent sous l'effet de facteurs externes, il se crée des processus irréversibles, le système franchit un seuil au-delà duquel il est hors d'équilibre. Il peut alors adopter un comportement caractérisé par des fluctuations autour d'un nouvel état stationnaire et développer des structures freinant l'entropie. Prigogine et l'école de Bruxelles ont édifié une thermodynamique des systèmes ouverts et des structures dissipatives. En chimie, elle explique certaines réactions oscillantes. En biologie, elle montre que les organismes vivants ne contreviennent pas aux lois physiques. En économie politique, elle définit les limites d'une modélisation.

Ilya Prigooine

Belge d'origine russe, né à Moscou en 1917. En 1941, docteur de sciences physiques à l'université libre de Bruxelles, où il devient chargé de cours en 1946 et professeur en 1951, poste qu'il occupe toujours. En 1959, directeur de l'Institut international Solvay de physique et chimie. De 1961 à 1966, titulaire d'une chaire extraordinaire de chimie à l'université de Chicago. Depuis 1967, directeur du centre de mécanique statistique et de thermodynamique à l'université du Texas à Austin. Bien qu'il ne s'intéresse pas spécialement à la biologie, il doit en grande partie sa notoriété aux progrès que ses recherches en thermodynamique ont apportés au problème de l'origine de la vie.

Médecine et physiologie

L'hypophyse, petite glande logée à la base du crâne, a longtemps été considérée comme le chef d'orchestre du système endocrinien, c'est-à-dire des glandes qui, comme la thyroïde, les surrénales ou les gonades, déversent des sécrétions – les hormones – à l'intérieur de l'organisme. Synthétisées par les cellules du lobe antérieur de l'hypophyse, des stimulines (ou hormones hypophysaires), véhiculées par le sang, étaient reçues selon leur compétence par une glande-cible, dont elles activaient la ou les productions spécifiques. Par un effet de rétroaction, lorsque la concentration dans le sang des hormones produites par les glandes-cibles atteignait un certain seuil, la production des stimulines hypophysaires était freinée. Ce schéma commença à paraître insuffisant quand, en 1953, Du Vigneaud (prix Nobel de chimie 1955) trouva deux hormones (ocytocine et vasopressine) stockées dans le lobe postérieur de l'hypophyse, mais en provenance d'une petite formation cérébrale, l'hypothalamus, qui forme le plancher du troisième ventricule et qu'une tige relie à l'hypophyse. En 1962, Guillemin, à Paris, démontre l'existence dans l'hypothalamus d'un facteur déclenchant dans l'hypophyse la sécrétion d'hormone thyréotrope (stimuline de la thyroïde) ; il sera isolé en 1968. Aux États-Unis, où Guillemin collabore un temps avec Schally avant que chacun dirige son propre laboratoire, les découvertes se succèdent, parfois annoncées presque simultanément par l'une et l'autre équipe. Grâce à la méthode de dosage radio-immunologique inventée par Rosalyn Yalow, on isole dans l'hypothalamus de vertébrés supérieurs une série de substances qui, à doses infimes, déclenchent ou freinent les sécrétions hypophysaires, telle la somatostatine, qui inhibe la production de l'hormone de croissance (somatotrope). L'appellation d'hormones cérébrales, un moment employée par analogie, est vite abandonnée comme impropre. Ces substances agissent directement sur l'hypophyse sans passer par la circulation générale. Chimiquement, ce sont des peptides, enchaînements de quelques acides aminés, beaucoup plus simples que les hormones protéiques. Leur simplicité a même d'abord fait douter de la réalité de leur découverte ! On parle de peptides cérébraux, mais bientôt on en trouve ailleurs que dans le cerveau, notamment dans le pancréas et dans divers tissus digestifs de même origine embryonnaire que le tissu nerveux. Guillemin introduit le terme cybernines, « substances qui gouvernent ». Elles contrôlent en effet nombre d'activités cellulaires et agissent sur le comportement. La simplicité de leur molécule en rend la synthèse facile, d'où des perspectives thérapeutiques considérables, encore au stade de l'expérimentation : diabète, schizophrénie... Dernière découverte en date : les endorphines, inhibitrices de la transmission de la douleur (Journal de l'année 1976-77).

Roger Guillemin

Américain. Né en 1924 à Dijon. Études dans sa ville natale, puis à Lyon, où il devient docteur en médecine en 1949. Part pour le Canada, où il se forme à la médecine et à la chirurgie expérimentales à l'université de Montréal ; puis pour les États-Unis où, de 1953 à 1960, il occupe la chaire de physiologie à l'université Baylor à Houston. De 1960 à 1963, directeur du laboratoire d'endocrinologie expérimentale du Collège de France. Ne trouvant pas, dans les structures universitaires françaises, des conditions favorables à la poursuite de ses recherches, repart pour les États-Unis, d'abord à Houston, puis, avec son équipe, au Salk Institute de La Jolla (Californie). Naturalisé américain en 1965.

Andrew V. Schally

Américain. Né en 1926 à Wilno (Pologne ; aujourd'hui, Vilnius en URSS). Études en Grande-Bretagne, puis à l'université McGill de Montréal, où il devient docteur en biochimie en 1957. Jusqu'en 1962, assistant de recherche à l'université Baylor de Houston, où il travaille avec Guillemin. Prend ensuite la tête du laboratoire des polypeptides et d'endocrinologie de l'hôpital des Vétérans de La Nouvelle-Orléans. Depuis 1973, il dirige l'ensemble de tout le système de recherches dans les hôpitaux et les laboratoires de la puissante organisation des anciens combattants américains. Naturalisé américain.

Rosalyn Yalow

Américaine. Née en 1921 à New York. Docteur en physique (1945). Spécialiste en médecine nucléaire, assistante du chef du service des radio-isotopes de l'hôpital de Bronx à New York, puis chef du service de médecine nucléaire. Avec Salomon A. Berson, elle invente une méthode de dosage des hormones circulantes, fondée sur la formation de complexes anticorps-hormone après introduction de quantités connues d'hormone radioactive. Pour une substance comme la somatostatine, la sensibilité de la méthode atteint le millième de milliardième de gramme.

Sciences économiques

Signe des temps : alors que des communautés économiques internationales tendent à se disloquer au profit d'un renouveau du protectionnisme et que les monnaies retombent sous la loi de la jungle, le prix est attribué à deux vétérans de la théorie du commerce extérieur. L'un et l'autre sont des néo-classiques : tout en rejetant la loi des prix comparés, sur laquelle le financier londonien Ricardo fondait les mérites du libre-échange (assurément profitable à la Grande-Bretagne), ils restent partisans de celui-ci, l'estimant bénéfique même aux pays pauvres. Leur apport à la science économique a surtout consisté à mettre en lumière, à une époque où il était moins manifeste qu'aujourd'hui, le caractère international des problèmes d'utilisation des ressources, de conjoncture et de distribution des revenus. On peut penser qu'en les couronnant l'Académie suédoise a voulu souligner la nécessité d'une entente mondiale pour sortir de la crise actuelle, sans pour autant vouloir trouver dans leur œuvre les remèdes concrets à appliquer. Rien n'indique qu'un retour au libre-échange tendrait par lui-même à réduire les inégalités de développement qui constituent une des caractéristiques persistantes de l'économie mondiale

Bertil G. Ohlin

Suédois. Né en 1899 à Klippan (Suède). Diplômé de l'École des hautes études commerciales de Stockholm, docteur es lettres. Occupe successivement divers postes administratifs dans son pays, puis enseigne dans les universités de Stockholm et de Copenhague. Carrière politique nationale (membre de la Première Chambre en 1938-1944, ministre du Commerce en 1944-1945, membre de la Seconde Chambre en 1945-1970, président du parti libéral de 1944 à 1967) et internationale (membre du Conseil de l'Europe de 1948 à 1960 et de 1969 à 1970, membre du Conseil nordique de 1955 à 1970).

James Edward Meade

Anglais. Né en 1907 à Swanage Dorset (Grande Bretagne). Études à Oxford et à Cambridge. Professeur de commerce international à la London School of Economics, puis d'économie politique à Cambridge, gouverneur de l'Institut national britannique de recherches économiques et sociales. Son principal ouvrage, Théorie de la politique économique internationale, analyse les effets de la politique économique sur le commerce extérieur.

Terre et espace

Astronautique

En 20 ans, l'aventure spatiale est devenue routinière

Le vingtième anniversaire de l'ère spatiale, le 4 octobre 1977, n'a été que peu remarqué. Pourtant, que de progrès depuis le temps où un monotone « bip, bip, bip » signalait le premier Spoutnik parmi les étoiles ! Depuis le dixième anniversaire (Journal de l'année 1967-68), les réussites se sont multipliées. Un jour, on apprend que le millième satellite d'une même série vient d'être lancé ; un autre jour, c'est l'arrivée d'une sonde à sa planète de destination, avec un écart de quelques minutes seulement sur l'horaire prévu. Un camion de l'espace, chargé de vivres, de propergol, de matériel scientifique et d'autres marchandises, téléguidé du sol, accoste une station orbitale et livre sa cargaison.