Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

Matières premières

L'envolée

Les marchés des matières premières enregistrent depuis plusieurs années des fluctuations et des niveaux souvent aberrants, contraires aux mouvements traditionnels, et 1976 aura confirmé cette situation nouvelle dont la logique n'apparaît pas encore aux professionnels. Après avoir fortement monté (quadruplé) en 1972-73, lors de la phase d'expansion économique mondiale, les cours des matières premières n'avaient que faiblement régressé (de 30 %) pendant la crise sévère qui suivit. Les cours reprennent leur progression dès l'été 1975, quand l'activité économique se ranime aux États-Unis, et l'accentuent en 1976, tandis que la plupart des grands pays consommateurs occidentaux enregistrent une nouvelle stagnation de leurs productions industrielles.

L'indice britannique Reuter achève l'année à 1 568, après avoir atteint 1 586 en juillet, niveaux légèrement supérieurs aux précédents records du dernier trimestre 1973, et, le dérèglement s'accélérant, cet indice dépasse 1 700 début mars 1977, au moment où le gouvernement britannique décide de casser la spéculation à terme sur certaines matières d'origine agricole.

Dents de scie

Mais s'agit-il seulement de spéculation, d'un jeu financier qui dévie les tendances réelles de la production et du marché ? Parmi les métaux non ferreux, le cuivre commence l'année 1976 à 583 livres, bondit à 940 quelques mois plus tard, termine l'année à 782 livres, puis gagne encore 15 % au cours des semaines suivantes. Les dents de scie épousent moins l'évolution réelle de la consommation que les péripéties monétaires de la devise britannique et les tensions politiques sporadiques qui secouent les grands pays miniers africains.

Dans le cas du plomb, la crise de 1974 avait conduit les producteurs à limiter l'extraction et les stocks, et l'offre n'a pu suivre ensuite la forte expansion de l'industrie automobile. Les cours doublent donc en 1976, dépassent leurs anciens records et s'envolent début 1977. La situation de l'étain, assez bien contrôlée par quelques pays producteurs, est celle d'un état de pénurie caractérisé puisque le déficit devrait s'élever à 10 % des besoins mondiaux en 1977 : les cours, tombés de 4 000 à 3 000 livres en 1975, bondissent à 5 000 livres en 1976, puis à 6 200 en mars 1977.

Données faussées

Les matières premières alimentaires présentent deux tendances contradictoires. Les produits les moins spéculatifs (blé et sucre) chutent d'environ 18 % en 1976 tandis que les produits sensibles, tels que le café et le cacao triplent pour des raisons d'abord climatiques puis spéculatives : le cours du café est multiplié par 8 entre janvier 1976 et mars 1977.

L'année 1976 aura confirmé deux règles du jeu du marché mondial des matières premières. La première est que les politiques régulatrices pratiquées par les États producteurs ne peuvent que freiner la tendance des cours à amplifier les déséquilibres qui se manifestent entre l'offre et la demande. La seconde est qu'en période de fortes fluctuations monétaires des masses importantes de capitaux faussent les données concrètes du marché en se portant tantôt sur telle ou telle devise, tantôt sur telle matière-sterling ou telle matière-dollar : la baisse de la livre en 1976 est une cause décisive de l'envol de certaines matières premières cotées à Londres.

Ces mêmes fluctuations monétaires affectent également les États importateurs : il est difficile de mesurer avec précision l'impact des cours mondiaux sur les coûts d'importation.

En France, l'indice des prix des matières importées a progressé de 73 % de janvier 1 976 à janvier 1977, à raison de 32 % pour les matières industrielles et de 125 % pour les alimentaires, tandis que les prix des matières industrielles produites en France n'ont augmenté que de 14 %. À l'inverse, alors que le cours mondial du blé baisse par suite de récoltes abondantes aux Etats-Unis, le prix français du blé, sous le double effet de la sécheresse et de l'inflation générale, progresse de 15,5 %.

Prudence

Les prévisions des experts en début d'année 1977 demeurent donc prudentes. La logique économique, appuyée sur une stagnation ou une très faible progression des économies occidentales, proposerait une stabilité des marchés des matières premières, à l'exception de rares produits vraiment déficitaires tels que l'étain. Mais les facteurs monétaires et politiques peuvent tout changer, et la moindre des inconnues n'est pas une éventuelle évolution de la politique de l'administration américaine à l'égard de certains pays africains, justement gros producteurs de matières premières.

Les chiffres retenus pour les graphiques proviennent des statistiques établies par l'Union des banques suisses :