Journal de l'année Édition 1977 1977Éd. 1977

Ventes d'armes

Un florissant commerce

Superbement indifférent aux crises économiques, le commerce international des armes progresse au rythme d'un doublement tous les dix ans, ce qui correspond à une augmentation annuelle de l'ordre de 7,5 %. Son montant total peut être évalué à 100 milliards de francs, les États-Unis s'adjugeant la moitié, l'URSS un petit tiers, le reste étant partagé essentiellement entre la France et la Grande-Bretagne.

Discrétion

Bien entendu, ces chiffres doivent être maniés avec une extrême prudence. Peu soucieux de souligner leur image de marchands de canons, portés à dissimuler pour des raisons diplomatiques l'identité des destinataires, et parfois contraints par leurs clients de taire le montant et la nature des livraisons, les grands États ne laissent filtrer que des informations fragmentaires, parfois volontairement fausses, sur leurs exportations de matériel militaire.

Le rythme d'accroissement annuel de 7,5 % n'est qu'une moyenne. En fait, ce sont les aléas de la politique internationale qui. suivant les cas, grossissent ou réduisent le flux du commerce des armes. À cet égard, la fin de la guerre du Viêt-nam, l'explosion de Kippour et l'enrichissement récent des pays producteurs de pétrole ont joué un rôle considérable dans l'évolution récente des ventes d'équipement militaire.

Toutefois, les besoins de la clientèle internationale sont suffisants pour expliquer l'importance de cette activité. Les pays développés fournissent un tel effort d'armement pour leur propre compte qu'ils sont condamnés à l'exportation s'ils veulent amortir des matériels de plus en plus sophistiqués, donc de plus en plus coûteux. C'est dire que la pression de l'offre compte autant que la fermeté de la demande.

Un phénomène nouveau est la disparition progressive des chasses gardées. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les grands pays exportateurs d'armes (essentiellement les États-Unis et la Grande-Bretagne) se contentaient de gérer leurs clientèles respectives. Dix ans plus tard, les Russes se taillèrent à leur tour d'importants créneaux, qu'ils pensaient conserver éternellement. Aujourd'hui, les pays du tiers monde refusent de s'inféoder à un fournisseur particulier, afin d'échapper à sa tutelle politique ou de parer aux conséquences d'un éventuel embargo. Autrement dit, les exportations d'armes sont sorties d'une douce routine diplomatique, pour devenir des opérations commerciales difficiles, où tous les coups sont permis.

Une telle situation est relativement favorable à la France, qui dispose de deux atouts capitaux, quoique de nature différente :
– les efforts entrepris par le général de Gaulle pour se démarquer à la fois des États-Unis et de l'URSS ont laissé des souvenirs durables chez les pays non alignés qui répugnent à acheter exclusivement des matériels américains ou soviétiques ; en achetant français, les pays du tiers monde n'ont pas l'impression de se mouiller ;
– la France dispose d'une industrie aéronautique compétitive, soutenue par des agents commerciaux dynamiques. La perte du marché du siècle (Journal de l'année 1974-75), voici trois ans, n'a pas atteint sa crédibilité internationale, et nombreuses sont encore les armées qui demandent des Mirage et attendent avec intérêt la sortie du dernier modèle de Dassault.

Performances

Les retombées de ces atouts sautent aux yeux, lorsqu'on examine les performances françaises au cours des dix dernières années.

D'une part, les livraisons au tiers monde représentent désormais les trois quarts des exportations, contre guère plus de la moitié au début des années 60. D'autre part, l'aéronautique se taille la part du lion (entre 60 et 80 %, suivant les années) dans ces ventes à l'étranger.

Globalement, le chiffre d'affaires « exportation » de l'industrie française de l'armement a plus que quintuplé entre 1967 et 1976. D'où une augmentation moyenne annuelle de 15 %, deux fois supérieure à celle des échanges mondiaux. Le véritable coup d'envoi a été donné en 1970, avec la commande de 300 Mirage passée par la Libye. Cette année-là, en effet, les commandes ont atteint 7,4 milliards de francs, soit trois fois plus qu'en 1969. Depuis 1974, on enregistre un plafonnement des commandes à haut niveau (près de 20 milliards de francs), ce qui devrait nourrir substantiellement les exportations pendant quelques années encore. Après, c'est l'inconnu.

Cyniquement, on peut toutefois penser que, le monde étant ce qu'il est, les marchands de canons, français et étrangers, ont encore de beaux jours devant eux.