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Presse : journaux à l'encan

Malmenée par la crise, sérieusement concurrencée par l'audio-visuel, inquiète devant les mutations technologiques qui s'imposent à elle, ressentant amèrement l'indifférence du public à l'égard de ses problèmes, la presse française est à l'encan : jamais autant de titres n'ont changé de propriétaires qu'au cours de l'année 1976-1977.

France-Soir

La grande braderie commence avec France-Soir, quand le conseil d'administration décide de vendre le quotidien à Paul Winkler (P-DG d'Opera Mundi, directeur d'Edimonde, qui publie notamment Tintin et le Journal de Mickey) pour la somme de 9 700 000 F, tandis que le prix de cession de l'immeuble et du matériel se situe entre 35 et 40 millions de F. L'Union nationale des syndicats de journalistes (SNJ, CFDT, CGT, FO) et la Fédération française des sociétés de journalistes protestent. Un administrateur judiciaire est nommé par le tribunal de commerce de Paris, à la demande de l'un des co-gérants de l'Union des fondateurs et collaborateurs de France Éditions et Publications, pour rechercher le contenu réel des accords passés entre la société Hachette et Paul Winkler. On apprend alors que Robert Hersant détient 50 % des parts de la société Presse Alliance qui a acquis France-Soir.

Robert Hersant donne à sa participation une justification technique : des accords entre France-Soir et le Figaro (il en est propriétaire : Journal de l'année 1975-76) auraient été conclus entre les deux journaux en 1972. En le préférant à d'autres acquéreurs éventuels (Claude Perdriel, Jean-Marc Smadja, Henri Amouroux), on accentue le processus de concentration dans la presse : 16 % des lecteurs français vont désormais percevoir l'information à travers le groupe Hersant, qui possède 11 quotidiens, 9 hebdomadaires ou bi-hebdomadaires, 11 magazines techniques ou spécialisés, une agence de presse et une agence de publicité.

Diverses actions sont entreprises pour contrecarrer les projets de Robert Hersant. La rédaction mandate l'intersyndicale et le conseil d'administration de la société des rédacteurs pour obtenir (en vain) une audience du président de la République ; une procédure est engagée devant le tribunal civil de Paris ; une grève de six jours « pose devant le pays les problèmes fondamentaux de la liberté de la presse et de l'indépendance des journalistes » ; une action en référé est introduite par la société des rédacteurs, l'intersyndicale des journalistes de France-Soir, ainsi que par deux syndicats nationaux (SNJ et SJF-CFDT), afin d'obtenir la nomination d'un mandataire de justice ayant pour mission de prendre connaissance, d'une part, des conditions dans lesquelles France Éditions et Publications a cédé le journal à Paul Winkler et, d'autre part, comment celui-ci a cédé une partie du capital à Robert Hersant.

Le tribunal de Paris nomme un « expert consultant ». L'Union des fondateurs et collaborateurs engage plusieurs procédures. Elle demande soit l'annulation de la vente, soit 49 700 000 F de dommages et intérêts. Mais elle est déboutée en ce qui concerne la nomination d'un administrateur judiciaire de la FEP et d'un contrôleur de gestion de France-Soir. Trois syndicats (SNJ autonome, SJF-CFDT, SGF-FO) déposent des plaintes pour non-respect de l'ordonnance de 1944 (l'article 9 précise que « la même personne ne peut être directeur ou directeur délégué de plus d'un quotidien »), auprès des procureurs de la République des villes où des quotidiens du groupe Hersant ont leur siège.

Toutes ces escarmouches de procédure ou des actions ponctuelles, dont une grève des signatures, n'entravent guère la prise de possession de France-Soir par Robert Hersant. Soixante-neuf journalistes décident de quitter l'entreprise, en faisant jouer la clause de conscience.

Figaro

En partant de sa forteresse parisienne du Figaro, Robert Hersant annonce, le 4 novembre 1976, un plan de restructuration de son entreprise en quatre points :
– une formule de base avec le Figaro tel qu'il existe actuellement ;
– un Figaro-Île-de-France, constitué à partir des éditions de Mantes et de Poissy, séparées de Paris-Normandie ;
– un Figaro province, divisé en zones correspondant aux quotidiens régionaux du groupe ;
– enfin un Figaro international, imprimé à Genève.