La vie religieuse

Catholiques

Vatican : une activité réduite, marquée par deux déclarations importantes

« Je vous le dis, beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux. » C'est en citant ces paroles du Christ dans l'Évangile de Matthieu que Paul VI dresse, le 22 décembre 1975 devant le Sacré Collège, le bilan de l'Année sainte.

Le pape ne cache pas sa satisfaction. L'Année sainte, qui sera officiellement close trois jours plus tard, a été un grand succès populaire, incontesté. Jamais Rome n'avait connu pareille affluence de pèlerins. Il a été impossible de les recenser tous, mais la plupart des estimations voisinent les quatre millions. La plupart étaient des gens simples et l'hôtellerie italienne a peu profité de l'événement, comme en témoigne un calicot déployé sur un grand hôtel proche de la gare Termini, à Rome : « La porte sainte est ouverte, mais l'hôtel est fermé ».

Réformes

De ce contact avec les gens simples. Paul VI a été, selon tous les témoignages, très impressionné et réconforté. Comme s'il retrouvait, au-delà des contestations, la majorité silencieuse des catholiques. Il s'est efforcé de ne pas décevoir ces centaines de milliers d'hommes venus à Rome pour rencontrer le pape et s'est donc imposé de participer à de très nombreuses cérémonies, sans prendre ses habituelles vacances d'été. C'est une performance physique exceptionnelle pour un homme qui a atteint sa 78e année le 26 septembre 1975 et souffre d'une arthrose très douloureuse. Périodiquement, des rumeurs alarmistes circulent donc sur sa santé, et lui-même, à la veille du Carême, évoque dans une allocution sa mort prochaine ; mais il semble bien qu'il fasse ainsi allusion à son grand âge plutôt qu'à de réelles inquiétudes sur son état physique.

L'Année sainte coïncide avec le 10e anniversaire du Concile et celui-ci est commémoré par diverses cérémonies. Cependant, l'activité réformatrice du Vatican parait se ralentir. La constitution apostolique Romano Pontifici eligendo du 1er octobre, relative aux conditions d'élection du pape, comporte beaucoup moins d'innovations que prévu. Elle est complétée en mai par la nomination de 19 nouveaux cardinaux ; le Sacré Collège est donc au complet (120 membres votant). La fusion, intervenue le 11 juillet 1975, de l'ancienne congrégation pour la Discipline des sacrements et de la congrégation pour le Culte divin (créée en 1969 pour promouvoir la réforme liturgique) ne constitue qu'une remise en ordre sans grande portée. Enfin, la diplomatie vaticane elle-même paraît moins active, ou du moins plus discrète que lors des années précédentes.

Déclarations

Outre l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi publiée le 8 décembre, et qui tire les conclusions du dernier synode sur les tâches d'évangélisation incombant à l'Église dans le monde actuel, deux déclarations retiendront particulièrement l'attention.

Tout d'abord le message de Noël de Paul VI, qui connaît un retentissement exceptionnel. S'adressant aux jeunes, le pape déclare : « Dans votre génération s'est manifestée, on pourrait dire avec une fureur subversive, la déception devant la fausseté ou du moins l'insuffisance de la sagesse des générations qui vous ont précédés, elles qui vous ont inculqué la folie de la guerre pour la puissance, du matériel présenté comme la seule justice, du plaisir comme aveuglement malhonnête sur les devoirs et la destinée supérieure de la vie humaine (...) le drame est là, à ce point précis du oui ou du non de la génération qui monte et qui a manifestement l'intuition d'une rencontre paisible et heureuse avec le Christ. »

La seconde déclaration fera bien plus de bruit encore. Elle est publiée le 15 janvier 1976 par la congrégation pour la Doctrine de la foi (ex. Saint-Office), mais le Père Roberto Tucci, officiellement chargé de la commenter, précise que le pape lui-même l'a lue plusieurs fois ligne à ligne, l'a ratifiée, a ordonné qu'elle soit publiée, si bien qu'elle a la même autorité qu'une encyclique. Ce texte aborde certaines questions d'éthique sexuelle (c'est le titre qu'il porte) dans le but de rappeler des principes immuables. En fait, trois questions seulement sont abordées : les relations préconjugales, l'homosexualité et la masturbation. Ces trois pratiques sont condamnées, avec des nuances, d'ailleurs, puisqu'on peut lire dans le texte, à propos de la masturbation : « La psychologie moderne fournit (à ce sujet) plusieurs données valables et utiles pour formuler un jugement plus équitable sur la responsabilité morale. » Mais le ton général est celui d'un énoncé de principes, assorti du rappel de l'existence du péché mortel — quelque peu absent des documents d'Église ces dernières années. Et, bien que cette déclaration ne fasse que réaffirmer d'anciennes positions de l'Église, tant de choses ont été dites depuis le Concile, y compris par des hommes d'Église, qui en différaient par la forme et par le fond, que l'opinion ne paraît guère disposée, dans sa majorité, à entendre cet ancien langage.

Critiques

Des prêtres, des religieux, des théologiens, des journaux manifestent un certain mécontentement. Le ton général de leurs critiques peut être résumé par une déclaration de théologiens du sud-est de la France qui voient dans ce texte l'écho rigide de l'enseignement de quelques moralistes et qui déplorent « que ce document, tant dans son contenu que dans la façon dont il a été rendu public, prenne délibérément le risque d'entretenir l'image d'une Église incapable de parler de la sexualité autrement que sous le signe de la peur, et donc de la culpabilité ». Plus discrètement, quelques évêques font savoir leurs réserves sur certains points : ils regrettent surtout que le document, qu'ils approuvent pour l'essentiel, ne présente pas les valeurs positives de la sexualité, et que les épiscopats nationaux n'aient pas été associés à sa préparation. C'est poser la question des relations des Églises locales avec Rome, question qui n'a pas été vraiment résolue après le Concile.

France

À Lourdes, le 24 octobre 1975, l'épiscopat français se donne deux nouveaux responsables. Le cardinal François Marty, président de la conférence épiscopale depuis 1969, arrivait en effet au terme de six années de mandat et n'était plus rééligible. Les 135 évoques présents à l'Assemblée plénière de Lourdes, votant au scrutin secret, élisent son successeur : Mgr Etchegaray, 54 ans, archevêque de Marseille. Mgr Gabriel Matagrin, 57 ans, évêque de Grenoble, devient vice-président. Ces désignations ne sont guère surprenantes : les deux évêques occupaient déjà des postes de responsabilité importants dans l'Église de France, et ils représentent bien l'orientation conciliaire qui est celle de la grande majorité des évêques français.

Le nouveau diacre embrasse son épouse

Un gardien de la paix parisien, André Mahé, marié et père de deux enfants, est ordonné diacre permanent, le 18 janvier 1975, par le cardinal François Marty, archevêque de Paris. Au cours de diverses interviews, celui-ci explique qu'il est entré dans la police pour « se mettre au service des autres », et que, à cet effet, il a demandé à être affecté à Police-secours. Cependant, l'Action catholique ouvrière formule publiquement des réserves dans un communiqué : « Nous pensons que cette ordination risque de conforter la classe ouvrière dans sa conviction que l'Église demeure liée au pouvoir et à la police. » Depuis 1970, une trentaine de diacres permanents ont été ordonnés en France, et une vingtaine de diocèses seulement ont fait appel à leurs services. Dans l'ensemble du monde catholique, on compte près de 1 600 diacres (dont plus de la moitié aux États-Unis) et près d'une centaine en Belgique. Cette réforme, née du Concile, a été inégalement appliquée.

Oppositions

La mise en œuvre de cette orientation ne va pourtant pas sans difficultés. Certes, les oppositions progressiste et intégriste sont moins vives que par le passé. Depuis que le mouvement de prêtres contestataires Échanges et dialogue a mis un terme à son activité, il n'a pas été remplacé. La reprise en main par l'ordre cistercien, annoncée en janvier 1976, de l'abbaye de Boquen ne suscite que des protestations modérées, ce qui est significatif. À l'autre extrémité de l'opinion catholique, les Silencieux de l'Église réélisent Pierre Debray à leur présidence, mais une petite guerre de communiqués indique, au début de 1976, qu'ils connaissent quelques déchirements internes, dans lesquels, finalement, la tendance Debray l'emporte. L'abbé Coache, animateur d'un mouvement intégriste et fondateur d'un séminaire à Flavigny (Côte-d'Or), malgré le désaveu de l'évêque du lieu, se voit notifier le 12 juillet 1975 la sanction de suspense confirmée contre lui par Rome. Enfin, l'affaire de l'abbé Charles Le Villain, curé de Franqueville-Saint-Pierre (Seine-Maritime), qui avait refusé en juillet de quitter sa paroisse, a certes provoqué quelques heurts localisés entre intégristes et conciliaires, mais elle n'a pas laissé de traces profondes.

Interférences politiques

Pour les deux nouveaux responsables de l'Église catholique, ce ne sont pas ces contestations-là qui provoquent les plus grandes difficultés. Celles-ci se situent d'abord dans les rapports avec les grands mouvements d'action catholique dont certains interviennent de plus en plus volontiers dans le champ politique. L'assemblée de Lourdes en discute longuement et adopte en fin de compte une position souple : libre à ces mouvements de prendre de telles positions, mais alors ils n'agissent pas en fonction d'un mandat de la hiérarchie épiscopale ; ils n'engagent donc pas l'Église avec eux, et ils doivent admettre l'existence d'autres mouvements pour les chrétiens qui ne partagent pas leurs choix politiques. En clair, les liens entre l'épiscopat et ces grandes organisations se relâchent. Cela pourrait avoir quelque importance dans l'avenir.