Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Conjoncture

De la crise à la reprise

L'industrie française n'a pas retrouvé, au début de l'été 1976, son niveau record de production de l'été 1974. La plus grande crise économique de l'après-guerre aura donc duré plus de deux ans : une année de dégringolade, entre l'été 1974 et l'été 1975 ; puis quelques mois de stagnation au fond du gouffre, jusqu'à l'automne 1975, ensuite, une année de reprise qui devait ramener l'industrie française à son point de départ, vers l'automne 1976. Coût de l'opération : 100 milliards de F de production perdus, soit l'équivalent de la construction de 500 000 logements, plus d'un million de chômeurs, un ébranlement de la confiance dans une poursuite indéfinie de la croissance économique.

L'ampleur de la crise a surpris tout le monde. Le gouvernement français affichait encore, au printemps 1975, des chiffres de croissance positive pour l'année en cours. Mais, dès le début de l'été, les spécialistes savent à quoi s'en tenir : la France connaîtra, en 1975, sa première année de croissance négative depuis la dernière guerre. Début juillet, le chef de l'État s'adresse aux Français pour leur souhaiter bonnes vacances et, en même temps, pour les prévenir qu'ils ne retrouveront peut-être plus jamais le type de croissance industrielle auquel ils s'étaient habitués depuis trente ans. Il parle de la nécessité d'imaginer une « nouvelle croissance ».

Relance

Très vite, le gouvernement se rend compte que de tels propos ne font qu'inquiéter davantage l'opinion : on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on prend. Pendant les vacances, les ministres préparent activement un plan de relance de l'économie, annoncé solennellement le 4 septembre : le paiement de l'impôt sur les bénéfices est reporté de 6 mois pour les entreprises ; les administrations vont passer pour 13 milliards de commandes supplémentaires ; 5 milliards vont aux familles et aux personnes âgées ; 3 milliards sont prévus sous forme de détaxation fiscale pour les commandes d'équipement passées par les entreprises avant la fin de l'année. Le tout est assaisonné d'une baisse des taux d'intérêt pour relancer le crédit.

Au total, l'État réinjecte 30 milliards de F pour faire redémarrer la machine économique. En réalité, celle-ci avait commencé de s'ébranler dès le début de l'été, mais rien ne l'avait fait apparaître. On ne le saura que plus tard. En outre, il faut absolument « faire quelque chose » pour compenser l'effet désastreux produit par l'accroissement du chômage. L'arrivée sur le marché du travail des jeunes qui viennent de quitter l'école rend inéluctable le franchissement de la barre symbolique du million de chômeurs à l'automne. C'est fait à la fin du mois d'octobre.

Croissance

Dieu merci ! à ce moment, la production est repartie de l'avant, dans des secteurs visibles comme l'automobile. La reprise est en route aux États-Unis depuis plusieurs mois. Elle tarde encore en Allemagne, mais des signes rassurants apparaissent.

La France n'est pas seule à repartir. Cela n'empêchera pas 1975 d'être la plus mauvaise des années de l'après-guerre.

Quand on connaît les chiffres, ils sont sans précédent. La production a baissé de 3 %, alors que, dans toutes les récessions antérieures, la croissance n'avait jamais été négative. La récession de 1952-1953, consécutive à la guerre de Corée et au plan Pinay d'assainissement, s'était traduite par un ralentissement de l'expansion, mais non pas par une chute de la production ; celle-ci avait tout de même augmenté de 2,4 % en 1952 et de 2,7 % en 1953 (soit moitié moins vite que la vitesse moyenne d'après guerre). En 1958-1959 (deuxième plan Pinay de stabilisation), la croissance avait encore été de 3,3 % en 1958 et de 3,1 % en 1959. Puis vint le premier plan Giscard de stabilisation, après la fin de la guerre d'Algérie, qui se traduisit par un ralentissement de la croissance, sensible seulement en 1965 (+ 4,5 %). D'autres coups de frein, en 1966-1967, suite à la récession en Allemagne, et en 1970-1971, suite à la dévaluation du franc, n'apparaissent même pas dans les chiffres de croissance annuelle de la production. C'est dire que leurs effets avaient été résorbés en quelques mois.