L'Église et les militaires révolutionnaires se sont observés mutuellement dans un jeu subtil tenant compte d'un rapport de forces qui empêche chacune des deux parties d'entrer en conflit ouvert avec l'autre. Alors que l'armée renforçait progressivement son pouvoir, le patriarche de l'Église copte, l'Abouna Theophilos, annonçait un programme de réformes visant surtout à améliorer le niveau de vie du clergé misérable, sensible aux sirènes de la révolution, et au sein duquel se développait un mouvement de contestation. Le 18 août 1974, cependant, l'Abouna critique le projet de Constitution parce qu'il prévoit la laïcité de l'État. Mais, le 11 septembre, pour le nouvel an du calendrier julien, le message du patriarche fait sensation : « Dieu bénit le grand mouvement révolutionnaire dirigé par les forces armées avec le soutien du peuple éthiopien », y lit-on. Pas un mot d'hommage à l'empereur, contrairement à l'usage. L'armée y voit-elle un feu vert ? Le lendemain, elle destitue Hailé Sélassié.

Depuis, avec le durcissement de la révolution, la radio officielle a souvent pris l'Église à partie, l'accusant notamment de fraude fiscale. Mais il semble que le pouvoir n'ait pris aucune mesure contre la société ecclésiastique.

Musulmans

Événement surprenant, inimaginable quelques années auparavant, le 13 septembre 1974, le salat du vendredi, la grande prière hebdomadaire des musulmans, est célébré dans la cathédrale de Cordoue.

Cette cathédrale fut d'abord une mosquée, l'une des plus belles du monde, un des chefs-d'œuvre de l'art musulman, témoin d'une époque où les fruits de la civilisation arabo-musulmane mûrissaient en Espagne. Les Arabes ayant été chassés de Cordoue en 1236, jamais, depuis, la mélodie coranique n'avait retenti sous les voûtes de l'édifice, reconverti en cathédrale.

C'est dire l'émotion des musulmans qui participent à cette prière, célébrée à l'occasion d'un congrès islamo-chrétien convoqué à Cordoue du 10 au 15 septembre, à l'initiative des Amitiés islamo-chrétiennes d'Espagne. Il y a là, outre les congressistes, les diplomates musulmans en poste à Madrid et même des fidèles venus du Maghreb ou d'ailleurs. Le salat est célébré sous la présidence du vice-Premier ministre et ministre des Affaires religieuses d'Égypte, et la prédication est faite par le ministre jordanien des Affaires religieuses. Les participants chrétiens au congrès de Cordoue assistent à cette prière, de même que les autorités civiles et religieuses de la ville. Le lendemain, les musulmans assisteront aune messe solennelle célébrée dans la cathédrale par le cardinal Duval, archevêque d'Alger.

Les Amitiés islamo-chrétiennes d'Espagne ont été fondées en 1965 par l'historien égyptien Hussein Mones, alors directeur de l'Institut d'études islamiques de Madrid. Satisfaits du travail accompli en commun pendant neuf ans, les universitaires musulmans et chrétiens qui composent cette association ont convoqué le congrès de Cordoue pour élargir cette expérience de dialogue dans l'égalité. Ils y ont invité des personnalités venues des horizons les plus différents.

À l'issue du congrès devait être adopté un texte, dit « Déclaration de Cordoue », qui définit les moyens propres à renforcer les échanges et la collaboration des deux communautés religieuses dans tous les domaines.

Ce texte final prévoit aussi qu'un second congrès sera organisé à Cordoue dans deux ans et souhaite que des réunions analogues aient lieu dans d'autres pays. Il demande que chrétiens et musulmans collaborent « dans la défense des minorités religieuses, partout dans le monde, contre l'agression et la persécution ».

Colloques

Ce congrès de Cordoue est sans doute la plus spectaculaire de ces rencontres islamo-chrétiennes, dont la multiplication est un des faits marquants de l'année dans le domaine religieux. Quelques semaines plus tôt, du 17 au 21 juillet 1974, des musulmans et des chrétiens, venus de huit pays africains, se sont réunis à Accra (Ghana) sur le thème : « L'unité de Dieu et la communauté de l'humanité ; coopération entre les musulmans et les chrétiens africains pour le travail et le témoignage ». C'est la première rencontre de ce type au niveau panafricain, alors que la coexistence entre chrétiens et musulmans est quelquefois difficile, voire conflictuelle, sur le continent noir.