Les musiciens jouent ainsi davantage sur les fréquences que sur les notes et transforment littéralement les échelles de valeurs. Le résultat est parfois un univers glacial, dur et précis comme un polyèdre d'acier, d'où de nombreuses allusions à la science-fiction dans les titres des morceaux (et sans doute aussi dans les intentions de leurs auteurs).

Parfois, c'est le contraire, une mélodie vibrante de chaleur, soutenue par la trame très dense des rythmes ; et les références portent alors sur la magie, les esprits qui habitent le corps.

Pourtant, quelle que soit la virtuosité des interprètes, le synthétiseur n'en est encore qu'à ses débuts. Et rares sont les musiciens qui en ont fait autre chose qu'un clavier un peu perfectionné. Parmi ceux-ci, le Canadien Paul Bley a montré quelques-uns des choix offerts par cet instrument. Au cours de son Synthesizer Show, il montre les immenses ressources que l'on pourra tirer un jour de cet instrument. Le monde de la musique entre, grâce à lui, dans le domaine de l'électronique pure.

Festivals

Mais les formes plus traditionnelles continuent de rencontrer un grand succès. Chaque été, les festivals font le plein sur la Côte d'Azur. On a pu voir à Antibes le retour d'un géant, le saxophoniste Sonny Rollins. Consécration d'une longue carrière et trait d'union entre la vieille garde (Erroll Garner) et les jeunes loups (Mc Laughlin, Keith Jarrett). Le festival d'Antibes connaît aujourd'hui des concurrents sérieux un peu partout. Celui de Newport se transporte ainsi à Nice (juillet 1974), et présente de nombreux talents qui, de Barney Bigard (ancien clarinettiste de Louis Armstrong) à Earl Hines, ont connu des jours meilleurs à l'époque de leur splendeur. Même le jazz n'échappe pas à la mode rétro. Il a tellement marqué les générations d'avant le rock qu'il est juste de lui rendre hommage.

Au mois de novembre, cette manifestation désormais classique, le festival Newport, s'est transportée à Paris. Au programme, une véritable apologie du sax ténor, avec Gato Barbieri (certainement le plus populaire), Stan Getz et Sonny Rollins. Un hommage à Charlie Parker rassemblait quelques grands noms un peu oubliés : Eddie Davis, Sonny Stitt et le merveilleux et toujours vert Dizzy Gillespie. Enfin, Mc Coy Tyner, l'ancien pianiste de John Coltrane, et Herbie Hancock présentaient deux facettes assez éloignées d'un jazz aux tendances parfois très contradictoires.

Reims, enfin, a accueilli en mars la grande formation du Sud-Africain Chris Mc Gregor, The Brotherhood of Breath (La fraternité du souffle). Ce groupe comprend tout ce que l'Angleterre compte de meilleur parmi ses musiciens de jazz.

Certains, comme le sax alto Elton Dean chez les Soft Machine, se sont fait un nom dans la pop. D'autres ont participé à des œuvres marquantes, comme le trompettiste Mongezi Feza dans l'album de Robert Wyatt, Rock Bottom (prix de l'académie Charles-Cros). Ce type de formation, réunie pour des concerts exceptionnels, se produit très rarement et son apparition en France constitue l'un des événements les plus marquants de cette saison.

Très populaire si l'on en croit les ventes de disques, le rhythm and blues et son cousin de la Jamaïque le reggae n'ont guère envoyé d'ambassadeurs ces derniers temps. Une exception : le concert donné par le groupe féminin Labelle (février).

Produites par un célèbre compositeur de La Nouvelle-Orléans, Allen Toussaint, ces chanteuses se présentent sur scène parées de costumes extraordinaires, tantôt agressivement sexy, tantôt troublement suggestifs. Elles ne sont pas seulement attrayantes ; leurs chansons demeurent des plus vivantes dans une scène soûl dévorée par la sophistication et le sirupeux. C'est sans doute par nostalgie pour ses grandes années que la fameuse marque Motown réédite tous ses anciens succès.

Reste le reggae, cette musique des Caraïbes importée en Angleterre. De nombreux artistes pop se réclament d'elle, trouvant dans ses rythmes, sa chaleur, sa pulsation, les piments qui donneront à leurs chansons une saveur exotique. Bob Marley et les Wailers sont considérés comme les meilleurs représentants de ce style. Peut-être les verrons-nous bientôt.

Danse

Béjart et les jeunes compagnies marquent la saison de leur empreinte

Une fois de plus, M. Béjart marque l'année de son empreinte avec trois créations importantes. Il donne à Florence, dans les jardins Boboli, Golestan ou le jardin des roses, un ballet conçu pour les fêtes de Persépolis. Il ne s'agit pas d'une évocation pittoresque de l'Orient, mais d'une peinture du pèlerinage de l'homme vers la sagesse. Ici, le voyage se fait à travers la doctrine soufite. M. Béjart a déjà exploré le mysticisme hindou dans Bakhti, la doctrine de saint Jean de la Croix dans La nuit obscure, un panthéisme syncrétique dans Les vainqueurs, paraphrase de la légende de Tristan et Iseult. Une étonnante continuité. Golestan ou le jardin des roses fait connaître à l'Occident une musique traditionnelle iranienne d'une beauté formelle et d'une profondeur surprenantes.

Allégorie

Autre œuvre majeure : I trionfi del Petrarca, un ballet allégorique commentant six sonnets de Pétrarque, depuis le triomphe de l'Amour jusqu'à ceux du Temps et de l'Éternité, en passant par celui de la Mort. Si le ton est différent de celui des autres ballets mystiques (il s'agit d'une œuvre à grand spectacle), l'intention n'en reste pas moins identique : c'est une interrogation passionnée sur la destinée humaine.