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Une situation alarmante due au manque de crédits

Que valent l'Orchestre de Paris, les six orchestres de région, les cinquante-sept établissements d'enseignement contrôlés nouvellement (à défaut d'être financés) par l'État, les deux opéras régionaux et les autres réalisations ou réformes entreprises depuis la mise en place du plan décennal en 1969, face aux besoins du pays ? Il n'est pas certain que ce soit pour aller plus vite et plus loin que le secrétaire d'État à la Culture ait décidé tout à coup de se passer de Marcel Landowski, l'homme qui, depuis 1966, régnait sans partage sur la vie musicale française.

Ce départ « pour raisons personnelles » n'a trompé personne : s'il avait voulu revenir à ses activités de compositeur d'opéras et de symphonies, M. Landowski ne se retrouverait pas aujourd'hui inspecteur général de l'Enseignement de la musique au ministère de l'Éducation et il n'aurait pas accepté de Michel Guy la direction d'une hypothétique Caisse nationale de la musique. Enfin, s'il avait conservé le bastion landowskien, le secrétaire d'État, lui, n'aurait pu passer pour le grand novateur qu'il prétend être.

Les français et la musique

Deux Français sur vingt-cinq qui pratiquaient la musique entre 15 et 18 ans la pratiquent encore à 60. Un tiers possèdent un instrument (de l'harmonica au piano à queue), mais la moitié seulement de ces heureux propriétaires savent ou peuvent en jouer, même d'une manière occasionnelle. Les chorales d'amateurs n'occupent plus les loisirs que de 1,5 % des Français et les fanfares 1,1 %. La musique dite classique ne retient l'attention que de 5,5 % des auditeurs de radio. Les salles de concerts n'ont reçu l'an dernier que 6,9 % de la population motivée par la culture, et les spectacles d'opéra pas plus de 2,6 %. Ces chiffres proviennent du Service des études du secrétariat d'État à la Culture.

Révolution de palais

La nomination de Jean Maheu le 13 novembre 1974, en remplacement de Marcel Landowski, montre bien la volonté officielle de dissocier l'administratif de l'artistique. Fils de René Maheu, ancien directeur de l'UNESCO, le nouveau directeur de la musique est conseiller référendaire à la Cour des comptes. Depuis sept ans, il était responsable d'un service socio-éducatif au secrétariat d'État à la Jeunesse et aux sports, après avoir été attaché pendant cinq ans à la présidence de la République. Avec lui, c'est donc l'énarchie au royaume d'Euterpe.

Plus de six mois après l'entrée en fonctions de Jean Maheu, on ne connaît toujours pas les grandes lignes de sa politique, mais seulement quelques intentions : remise en cause des structures, des méthodes, du contenu et de la finalité de l'enseignement musical ; appui à toutes les disciplines d'éveil et de créativité, opérations d'envergure dans certaines régions (Poitou-Charentes) ou certains milieux (collectivités d'immigrés). L'insuffisance des budgets, ajoutée au centralisme, au système hiérarchique et au maintien des hommes de la précédente administration, empêche sans doute un déblocage rapide de la situation.

Mais, au début de cette révolution de palais, les milieux musicaux ont connu une sérieuse inquiétude qui n'est pas encore complètement apaisée. On a cru que Jean Maheu ne serait que l'instrument d'un super-directoire présidé par Pierre Boulez. Beaucoup ont craint de quitter une dictature dont ils avaient fini par s'accommoder, et même par tirer avantage, pour tomber dans une autre qui risquait de leur être franchement hostile.

C'est sans doute dans ce sens qu'il faut interpréter le texte de soutien à la politique de Landowski de vingt-trois compositeurs, publié le 17 novembre 1974, et le manifeste des deux cents compositeurs et musiciens réclamant, le 22 avril 1975, « la création à l'échelon interministériel d'un Haut Conseil de la musique » et diverses mesures sur la sécurité de la profession.

La lenteur des démentis officiels, le silence persistant de Pierre Boulez accentuent l'angoisse générale ; le « retour de l'enfant prodigue » selon les uns, ou de « la statue du Commandeur » selon les autres, se précise en raison, d'une part, de l'importance donnée aux Rencontres IRCAM (Théâtre d'Orsay, en octobre 1974), et de l'intention de la future grande institution de recherches d'aborder tous les domaines échus jusque-là aux organismes déjà existants (GRM, CEMAMU, notamment) ; d'autre part, avec l'acceptation inattendue de Pierre Boulez de présider le Conseil international de la musique à l'UNESCO, d'enseigner au Collège de France et de diriger à l'Opéra et même à l'Orchestre de Paris, la saison prochaine.

Conflits

Des crises sectorielles, loin d'être toutes résolues, ont encore aggravé ce climat d'incertitude, annonciateur de mutations profondes dans la vie musicale du pays. L'Opéra-Studio, dirigé par Louis Erlo, se voit pénalisé par Michel Guy pour son premier spectacle. La flûte enchantée (Festival d'Avignon), jugé par trop inégal. Sommé de quitter Paris pour Lyon, L. Erlo doit abandonner l'Opéra-Comique, dont le budget de fonctionnement et de production pour 1975 est fortement réduit. Les interpellations des députés et des sénateurs, les pétitions et les campagnes de presse ne sont parvenues jusqu'ici qu'à éviter provisoirement un « exil sans gloire » à cet institut cher entre tous à son fondateur, Marcel Landowski. Mais un autre conflit éclate entre Georg Solti et les cent treize membres de l'Orchestre de Paris, lorsque le premier déclare, en septembre, à la revue Harmonie : « Le musicien français est individualiste ; il se croit, consciemment ou non, supérieur aux autres et, de plus, il est doué au plus haut point d'une vertu naturelle d'insubordination. » À quoi les musiciens répondent que leur chef ne cesse de s'absenter et qu'il est pratiquement impossible de travailler régulièrement avec lui. La dernière décision de Marcel Landowski sera de nommer le successeur de G. Solti : le jeune Daniel Barenboïm, déjà illustre pour ses interprétations du grand répertoire mais plus disponible que G. Solti, prendra ses fonctions le 1er septembre 1975.