Conflit

La guerre du Kippour

À plus d'un égard, la quatrième guerre israélo-arabe (6-22 octobre) se distingue des trois précédentes, celles de 1948, 1956 et 1967. Elle constitue un tournant majeur dans le conflit du Moyen-Orient, puisqu'elle débouche, pour la première fois en un demi-siècle, sur l'ouverture d'une conférence de la paix.

Le conflit sert de révélateur à d'importantes mutations dans le domaine des relations internationales : la solidarité panarabe, largement verbale dans le passé, se manifeste concrètement par le recours à l'arme du pétrole ; la crise de l'énergie, qui s'aggrave à la suite de l'embargo sélectif que des pays producteurs imposent sur les livraisons du brut à destination des États jugés amis d'Israël, contribue à modifier profondément le rapport des forces entre les deux camps en conflit et, aussi, entre le monde arabe et l'Occident ; la guerre d'octobre a le double effet d'aggraver l'isolement d'Israël sur la scène internationale et de creuser le fossé entre les États-Unis et leurs alliés, notamment l'Europe et le Japon.

Proche-Orient ou Moyen-Orient ?

La guerre du Kippour a fait resurgir l'expression de Proche-Orient, délaissée depuis de longues années au profit de celle de Moyen-Orient. Il s'agit d'appellations qui n'ont jamais eu un contenu parfaitement rigoureux. En réalité, Moyen-Orient et Proche-Orient se superposent largement. Moyen-Orient a un sens plus large, désignant l'ensemble des pays d'Asie, de la Méditerranée à l'Iran inclus. Comme on a souvent accolé à Moyen-Orient les qualificatifs d'arabe ou de pétrolier, deux pays africains, l'Égypte et la Libye, ont été fréquemment inclus dans le Moyen-Orient. L'expression de Proche-Orient ne peut guère être utilisée que pour les États riverains de la Méditerranée orientale : il s'agit alors seulement de la Turquie (rarement comprise dans le Moyen-Orient), de la Syrie, du Liban, d'Israël et de l'Égypte. On remarque que les pays réellement engagés dans la guerre du Kippour viennent d'être cités. Il est alors apparu logique, pour mieux cerner la réalité géographique du conflit, de ressortir l'expression de Proche-Orient (en précisant que le boycott pétrolier est l'œuvre des États du Moyen-Orient, aucun pays du Proche-Orient n'étant un gros producteur d'hydrocarbures).

Impasse

Les causes de la guerre sont à la fois multiples et complexes. Elles tiennent, cependant, essentiellement aux thèses inconciliables des belligérants relatives à un règlement, à des évaluations contradictoires de la conjoncture, à la persistance de l'impasse diplomatique et aux pressions intérieures que subissent, en conséquence, les régimes arabes concernés.

Les raids préventifs, punitifs ou de représailles, les opérations militaires, limitées ou d'envergure, que multiplie l'armée israélienne contre le Liban et la Syrie suscitent l'indignation dans l'opinion arabe, tout autant que des sentiments de frustration et d'humiliation ressentis devant l'impuissance des forces arabes.

La situation intérieure se dégrade en Égypte et en Syrie. Le régime du président Assad paraît menacé : des manifestations antigouvernementales, des émeutes confessionnelles, mais en réalité politiques, se multiplient à Homs et à Hama en février, mars et avril 1973. Le régime du président Sadate au Caire paraît être en pleine décomposition à la même époque : l'administration est virtuellement paralysée, l'économie périclite sous le poids des dépenses militaires, les grèves ouvrières et les jacqueries paysannes se répandent, les étudiants, les journalistes, les élites d'une manière générale, entrent en dissidence, les cadres de l'armée s'impatientent.

La revendication unanime est que l'on mette fin à la situation insupportable dite de « ni guerre ni paix ». Une situation analogue se développe dans d'autres pays arabes, notamment pétroliers, soumis en outre aux pressions des organisations palestiniennes et où l'on redoute que les fedayin ne tournent leurs armes contre les dirigeants arabes qu'ils jugeraient trop complaisants à l'égard d'Israël et de son alliée, l'Amérique. Déjà des diplomates saoudiens sont victimes d'attentats terroristes.

Immobilisme

Les dirigeants arabes désespèrent de l'intervention des grandes puissances en leur faveur. Les menaces du roi Fayçal de réduire la production de brut n'émeuvent pas outre mesure les responsables américains, lesquels font obstacle, en juillet, à l'adoption d'une résolution anti-israélienne au Conseil de sécurité. Le communiqué conjoint, publié en juin 1973 à l'issue de la rencontre Nixon-Brejnev, indigne le président Sadate, qui y voit la preuve d'une collusion soviéto-américaine pour maintenir le statu quo au Proche-Orient.