Au XIXe siècle, production et consommation (il s'agissait alors de charbon) étaient concentrées en Europe ; celle-ci, même, exportait. Les premières découvertes de pétrole ont eu lieu au début du siècle aux États-Unis et en Russie. C'est après la Seconde Guerre mondiale qu'ont été révélées les immenses richesses du Moyen-Orient, puis, plus récemment encore, de l'Afrique.

Compagnies pétrolières : l'heure de la vérité

La crise mondiale de l'énergie n'a pas inquiété seulement les consommateurs et les gouvernements. Elle a aussi remis en question le destin d'organisations qui offraient le visage sans doute le plus achevé du capitalisme moderne : les grandes compagnies pétrolières internationales.

En un temps très court, elles ont perdu la maîtrise des ressources du Moyen-Orient, sur lesquelles reposait principalement leur formidable puissance industrielle et financière ; elles doivent faire face à une méfiance et une hostilité croissantes de l'opinion, et trouver de nouveaux moyens d'assurer leur avenir.

Domination

À vrai dire, les événements de 1973-74 n'ont fait qu'accélérer une évolution qui commençait à se dessiner depuis quelques années. Pour en suivre le fil, il convient de rappeler d'abord comment, à mesure que le pétrole devenait la principale source d'énergie de la société industrielle, s'étaient organisés les mécanismes complexes de leur domination.

La préhistoire du pétrole, jusqu'au début du siècle, s'inscrit dans un pays, les États-Unis, et un nom, la Standard Oil de John Rockefeller. Au début du XXe siècle, sa toute-puissance subit une série d'assauts. Aux États-Unis même, la loi antitrust l'oblige, en 1911, à se scinder en compagnies séparées Standard Oil of Indiana, of California, etc., et la principale, Standard Oil of New Jersey (devenue Esso, puis Exxon), encore aujourd'hui le numéro 1. Les découvertes du Texas (1901) donnent naissance à des rivales, la Gulf et la Texaco. Un Hollandais, Henry Deterding, édifie la Royal Dutch Shell (fondée en 1907) sur les gisements d'Indonésie et du Venezuela. Un Anglais, William Knox d'Arcy, obtient, en 1908, du chah de Perse les concessions sur lesquelles se bâtira l'Anglo-Persian Oil Cy (aujourd'hui British Petroleum). La France elle-même se lance en 1924 dans l'aventure en créant la Compagnie française des pétroles (Total).

Dans les années 20, toutes ces compagnies se font une vive concurrence, pour mettre la main aussi bien sur les richesses d'Iran et d'Irak que sur les marchés (l'automobile est en train de s'imposer) d'Europe et d'Amérique.

Cartel

La démarche fondamentale qui devait leur assurer plusieurs décennies de développement régulier et tranquille fut la signature, le 17 septembre 1928, par les trois plus grandes compagnies (Standard Oil of New Jersey, Anglo-Iranian et Shell), de l'accord d'Achnacarry, par lequel elles convenaient de stabiliser leurs parts des marchés et de se répartir les zones d'influence au Moyen-Orient.

Quatre autres compagnies américaines (Mobil, Gulf, Texaco, Standard of California) rejoignaient bientôt le cartel ainsi constitué qui, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, régna en maître discret, mais absolu, sur la production, la vente et les prix du pétrole (la CFP calquant son comportement sur celui des sept sœurs).

À partir des années 50, cependant, la domination du cartel est attaquée à son tour de plusieurs côtés. D'une part, de jeunes compagnies dites indépendantes, toutes américaines (Amoco, Continental, Phillips, Occidental, Getty, etc.), s'efforcent de se frayer un accès aux sources du pétrole brut en offrant aux pays producteurs du Moyen-Orient des contrats plus avantageux que ceux (en vérité léonins) des majors.

D'autre part, certains pays d'Europe tentent de secouer l'emprise des grandes compagnies en créant des entreprises pétrolières d'État, comme l'ENI italienne d'Enrico Mattei (1953) ou, en France, le groupe Elf-Erap (définitivement constitué en 1966) ; à la recherche de brut, celles-ci s'adressent à l'Union soviétique, ou pratiquent également la surenchère au Moyen-Orient, ou favorisent l'éclosion de nouveaux producteurs (l'Algérie d'avant Évian), ce qui ne peut que déplaire au cartel. Enfin, et surtout, les pays producteurs eux-mêmes vont découvrir le nationalisme économique et entreprendre, à partir de 1970, la récupération de leurs richesses nationales.

L'OPEP

Les premières étapes de cette éviction, poursuivie avec une remarquable maîtrise stratégique par l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), paraissent aujourd'hui fort mesurées : accords de Téhéran (14 février 1971) et de Tripoli (2 avril 1971), organisant une hausse progressive des prix du brut, qui n'avaient cessé de baisser depuis 1960, et des redevances ; accord de Genève (21 janvier 1972), garantissant les producteurs contre la dévaluation du dollar ; accord de New York d'octobre 1972, organisant la prise de majorité progressive des pays producteurs dans les compagnies productrices.