L'OCDE a ainsi calculé que les décisions arabes d'octobre et décembre 1973 allaient imposer en 1974 aux pays consommateurs une surcharge de 50 milliards de dollars. À titre de comparaison, le budget français de 1973 était de 40 milliards de dollars ; le montant total des réserves en or des banques du monde entier était, en 1970, de 40 milliards de dollars également. Selon une hypothèse prudente (le pétrole à 10 dollars le baril), le Moyen-Orient, vers 1985, encaisserait chaque année 175 milliards de dollars !

Paradoxalement, ces perspectives sont aussi embarrassantes pour les créanciers que pour les débiteurs. Parmi ces derniers, seule l'Allemagne va pouvoir conserver une balance commerciale équilibrée. Le Japon verrait fondre en dix-huit mois la totalité de ses considérables réserves monétaires. La France va accuser un déficit extérieur de 6 milliards de dollars, et se voit ainsi obligée, selon l'expression de Valéry Giscard d'Estaing, de travailler « un treizième mois » à l'exportation. Tous les pays industrialisés vont chercher de même à exporter davantage pour se procurer le supplément de devises nécessaires, et vont donc se livrer à une concurrence accrue sur les marchés extérieurs.

Les pays arabes sont presque aussi embarrassés par la question : que faire de ce pactole ? Certes, ils vont pouvoir accélérer leur propre développement économique (et se poser du même coup en nouveaux concurrents des pays développés), mais, au moins pour les moins peuplés d'entre eux, leur capacité d'absorption est relativement limitée. Des masses énormes de capitaux risquent donc de flotter sur le marché mondial, avec tous les risques d'affolement spéculatif que cela présente. L'intérêt de tous voudrait qu'ils se fixent dans des investissements à long terme, et les banquiers occidentaux se sont eux aussi précipités pour offrir de tels placements aux Arabes. Jusqu'à présent, ceux-ci ont paru rechercher davantage la sécurité, investissant surtout dans les fonds d'État ou dans l'immobilier.

Un progrès pourrait sortir de ce grand désordre si la richesse ainsi dégagée (par une augmentation somme toute assez légitime des prix) était affectée aux fins les plus utiles pour l'humanité. On pense évidemment aux pays du tiers monde les plus démunis, qui ne se manifestent tragiquement sur la scène économique que par leurs besoins. Les Occidentaux ont la technologie, les Arabes l'argent ; il y a là la possibilité d'une conjonction mondiale, d'une triple alliance efficace pour vaincre la misère dans le monde. Les dirigeants sauront-ils la saisir ?

La géopolitique de l'énergie

Ces trois cartes, en montrant comment se répartissent dans le monde la population des États, leur production et leur consommation d'énergie, permettent de se rendre compte des tensions et des possibilités de conflit que recèle l'économie de l'énergie.

Le pétrole couvre actuellement environ la moitié des besoins mondiaux, le charbon 25 %, le gaz naturel près de 20 %, le reste provenant de l'énergie hydraulique et des premiers apports nucléaires. Géographiquement, les données étudiées définissent diverses configurations :
– les deux superpuissances, États-Unis et URSS, ont chacune une population élevée, une très forte consommation d'énergie (surtout aux États-Unis), des ressources abondantes et variées (charbon, pétrole et gaz) couvrant pratiquement leurs besoins, avec un léger excédent pour l'URSS et un léger déficit pour les États-Unis ;
– deux pays du tiers monde, Chine et Inde, ont une très forte population, une consommation d'énergie encore faible, pour laquelle la Chine se suffit à elle-même, l'Inde non. La plupart des pays du tiers monde, même s'ils sont moins peuplés, sont dans le même cas que l'Inde ;
– les pays d'Europe occidentale ont une population et une consommation d'énergie élevées, mais des ressources insuffisantes, couvrant moins de la moitié des besoins. Les découvertes de pétrole en mer du Nord devraient améliorer partiellement ces ressources dans les années qui viennent. Les bilans d'énergie sont moins défavorables pour l'Allemagne et la Grande-Bretagne (grâce à leur charbon) et pour les Pays-Bas (grâce à leur gaz naturel) que pour la France et l'Italie ;
– le Japon est dans une situation encore plus mauvaise (production très faible) ;
– l'Afrique et le Moyen-Orient ont une population relativement faible et consomment fort peu, mais disposent d'un énorme potentiel exportable de pétrole et de gaz naturel. Ce sont les excédents énergétiques de ces deux continents qui comblent les déficits de l'Europe et du Japon. Parmi ces pays, il convient cependant de distinguer entre ceux qui, bien qu'excédentaires en énergie, sont relativement peuplés et dont les consommations s'accroissent (Iran, Algérie, Nigeria) et ceux dont les ressources excèdent largement tous les besoins prévisibles (par exemple l'Arabie Saoudite) ;
– l'Amérique du Sud suffit à ses besoins et même exporte (du pétrole), mais presque uniquement grâce aux ressources du Venezuela.