On voit bien jusqu'où allait la valeur exemplaire de l'affaire Lip, le danger qu'elle présentait aux yeux du patronat et du gouvernement, l'exaltation qu'elle provoquait dans la fraction la plus jeune et ardente de la jeunesse et de la classe ouvrière. Pour aggraver les choses, le pouvoir tergiversait, Tantôt il essayait de parvenir à un règlement négocié, désignait un industriel, Henry Giraud, pour rechercher un laborieux compromis, affirmait sa volonté d'apaisement. Tantôt au contraire le Premier ministre, le président de la République même désavouaient le négociateur et le ministre qui l'avait choisi, Jean Charbonnel, ils s'affirmaient décidés, quoi qu'il puisse en coûter, à faire respecter le droit de propriété. Pierre Messmer lançait un retentissant « Lip ? C'est fini ! », diversement interprété et qui ne contribuait pas à sa popularité. Bien que, la lassitude aidant, une solution ait fini par intervenir après mille péripéties, l'affaire Lip restait et restera dans l'esprit de beaucoup, qu'ils s'en réjouissent ou le déplorent, comme le symbole de ce que pourrait être ou plutôt de ce qu'aurait pu être une ébauche d'autogestion dans la vie sociale.

À côté de celles qui ont trait à l'affaire Lip, les controverses provoquées par les expériences nucléaires françaises dans le Pacifique apparaissent plus théoriques et leur objet, malgré tout, lointain. L'expédition du Bataillon de la paix comprenant le général de Bollardière, un prêtre, l'abbé Toulat, et des militants pacifistes est relayée par la venue en Océanie de Jean-Jacques Servan-Schreiber accompagné de plusieurs députés, d'un religieux, le R.P. Avril, et du pasteur Richard-Mollard. Tout ce remue-ménage suscite en écho de vives empoignades entre le chef d'état-major de la marine, l'amiral de Joybert, et le haut clergé, en particulier Mgr Riobé, évêque d'Orléans, à qui l'amiral reproche de se mêler des affaires de défense nationale.

Les autres sujets de discussions plus ou moins passionnées marquent une courte trêve avant de reprendre à la rentrée. Ce sont, notamment : l'aménagement éventuel de la législation réprimant l'avortement ; l'agitation qui a conduit à la dissolution simultanée, fin juin, de mouvements extrémistes, Ordre nouveau à droite, la Ligue communiste à gauche ; les préparatifs de la loi Royer aménageant le sort du petit commerce et réglementant plus sévèrement la création de grandes surfaces.

Bataille du Quinquennat

Mais il est un autre objet de préparatifs et de manœuvres politiques : le président de la République a décidé de faire amender la Constitution pour ramener de sept à cinq ans la durée du mandat présidentiel. Pourquoi cette décision et ce projet ? L'explication se situe, semble-t-il, à trois niveaux.

Officiellement, il est allégué avec insistance que sept ans, c'est trop court, et quatorze ans, trop long : la preuve en est qu'aucun des dix-neuf présidents français n'a jamais achevé un second septennat. Alors, pourquoi pas un mandat de cinq ans, c'est-à-dire d'une durée équivalente à une législature de l'Assemblée, ce qui porterait en cas de renouvellement à dix ans, délai suffisant et non excessif, la durée effective ? Toute la démonstration vise à présenter la réforme comme essentielle et urgente.

Tactiquement, il est clair que Georges Pompidou veut par ce biais forcer la cohésion de sa majorité et peut-être l'élargir, contraindre l'opposition à se rallier, à se diviser ou à se contredire. La gauche n'a-t-elle pas inscrit précisément le raccourcissement du mandat dans son programme commun ?

Mais à la racine de l'initiative présidentielle figurent aussi des raisons personnelles. Georges Pompidou laisse certes entendre que la réforme ne s'appliquerait pas au mandat en cours et qu'elle lui permettrait, au cas où il se représenterait en 1976, de rester douze ans au lieu de quatorze à l'Élysée. Pourtant, chacun sait ou sent qu'il s'ouvre ainsi d'autres possibilités, entre lesquelles il se réserve de choisir le moment venu : il pourra se retirer en juin 1974, après cinq ans de mandat si sa santé l'exige ; il lui sera loisible de finir son septennat sans solliciter un second mandat ; enfin, si la maladie faisait trêve, il ne tiendrait qu'à lui de se représenter pour cinq ans.