Au printemps 1974, une situation à peu près équilibrée paraît cependant rétablie (à un niveau des prix, il est vrai, triple ou quadruple). Tout s'est passé comme si la menace de fermer les robinets, finalement peu suivie d'effet, avait servi surtout, aux pays arabes, à obtenir en quelques mois un accroissement explosif de leurs revenus que, sans la guerre, il leur aurait sans doute fallu attendre dix ans ou davantage.

Tournant

Même si elle s'arrête là, la crise pétrolière 1973-74 laissera cependant des traces profondes dans l'économie mondiale. Elle a fait apparaître dans le tiers monde une nouvelle catégorie d'États encore sous-développés, mais auxquels leur prodigieuse richesse va permettre désormais de rejoindre à grands pas le modèle occidental, voire d'y intervenir directement avec leurs capitaux. Elle a donné à d'autres pays du tiers monde, pauvres eux aussi mais détenteurs de matières premières recherchées (cuivre, phosphates, uranium), l'idée de s'organiser afin d'obtenir les mêmes avantages que les pays pétroliers.

Par contraste, elle a fait ressortir le dénuement encore plus grand des pays du tiers monde ne disposant pas de telles ressources, et qui doivent pourtant comme les autres, payer plus cher les matières premières dont ils ont besoin. En Occident, elle a précipité la prise de conscience des gaspillages auxquels conduit la société de consommation, ouvert la voie à des recherches de toutes sortes, non seulement sur les énergies nouvelles, mais, de proche en proche, sur les technologies des transports, de l'habitat, de la chimie, etc., et finalement sur la façon de vivre en société. Enfin, au plan de la politique, elle a mis en lumière une divergence d'intérêts fondamentale entre l'Europe et les États-Unis. À tous points de vue, c'est une page d'histoire qui est tournée.

Un séisme économique

La brutale augmentation des prix du pétrole pendant l'hiver 1973-1974 provoque des réactions en chaîne dans toute l'économie. En prendre une mesure complète et exacte est une tâche qui défie les meilleurs statisticiens. On trouvera ci-dessous quelques chiffres caractéristiques dans quatre domaines fondamentaux : le prix du brut à la production ; les prix des produits pétroliers à la consommation en France ; les conséquences du renchérissement de l'énergie sur l'ensemble des autres prix ; enfin, les conséquences sur les finances extérieures des pays producteurs et consommateurs.

Prix du brut à la production

Il faut savoir d'abord que le pétrole brut n'est pas un produit uniforme, et qu'au contraire il en existe presque autant de variétés que de gisements, différents par leur densité, leur teneur en soufre nocif, la plus ou moins forte proportion de produits légers (essence) ou lourds (fuels) qu'ils peuvent donner à la distillation, etc. Chacune de ces variétés a évidemment son prix, indiqué traditionnellement en dollars par baril.

Ensuite, la nature des relations commerciales entre les pays producteurs et les compagnies concessionnaires a engendré pour le même brut différentes catégories de prix, qui n'évoluent pas de la même façon : le prix affiché, assez théorique, et les prix réels : prix de reprise, auquel la compagnie paie effectivement le brut auquel les accords lui donnent droit, et prix de marché pour le brut participation, dont les États disposent librement.

Affiché

Jadis fixé unilatéralement par les compagnies, puis, depuis 1971, négocié entre elles et les États producteurs, c'est le prix théorique sur lequel sont calculés les impôts et redevances diverses perçus par ces derniers. L'objectif de ce système était de garantir aux pays producteurs que les compagnies ne les lésaient pas en vendant secrètement à des prix plus élevés que ceux déclarés à des fins fiscales. Pendant les années 1960, les compagnies avaient imposé une baisse des prix affichés. Depuis, l'évolution a été la suivante (pour la variété dite « léger d'Arabie ») :
1969 : 1,65 dollar par baril
janvier 1972 : 2,47 dollars par baril
janvier 1973 : 2,59 dollars par baril
16 octobre 1973 : 5,12 dollars par baril
23 décembre 1973 : 11,65 dollars par baril.