Productions

Énergie

Les producteurs de pétrole maintiennent leur pression

Le gouvernement algérien et la compagnie française ELF-ERAP signent, le 15 décembre 1971, un accord réglant le contentieux ouvert au début de l'année par la nationalisation des installations pétrolières françaises, décidée unilatéralement par le gouvernement Boumediene. Un accord du même genre avait été conclu le 30 juin avec l'autre grand opérateur français en Afrique du Nord, la Compagnie française des pétroles (Total). Pour l'essentiel, ces accords entérinent les décisions algériennes, en arrêtant seulement le montant des indemnités dues aux sociétés françaises. Entre autres conséquences, ils réduisent des deux tiers le volume des livraisons de pétrole de l'Algérie à la France.

Fin d'une coopération

Ainsi tournait court, sans drame mais dans l'amertume, l'aventure pétrolière saharienne inaugurée dans l'enthousiasme quelque quinze années plus tôt. La CFP, relativement peu engagée en Algérie, n'en souffrira pas beaucoup ; les répercussions seront plus graves pour l'ERAP, qui perd une part importante de ses profits et va devoir retrouver ailleurs des sources d'approvisionnement. Mais, surtout, cet épisode fait tomber l'illusion des rapports privilégiés de coopération entre les deux pays. Au plan strictement économique, il n'est pas sûr que l'Algérie y gagne. Peut-être était-ce le prix qu'il fallait payer pour que la décolonisation devienne une réalité non seulement dans les faits, mais dans les esprits.

L'échec de la politique du Sahara et des accords d'Évian, en tout cas, ôte à la politique pétrolière française toute velléité d'action autonome au moment même où l'économie du pétrole s'est engagée, sur le plan mondial, dans des transformations qui iront sans doute très loin.

Les accords de Téhéran (14 février 1971) et de Tripoli (2 avril 1971), qui avaient manifesté l'égalité reconquise par les pays producteurs face aux compagnies internationales et aux pays consommateurs, ne seront sans doute, en effet, qu'une préface à des changements encore plus importants. Leurs conséquences, pourtant, sont loin d'être négligeables. Pour ne prendre qu'un exemple, les pays du golfe Persique — Iran, Irak, Arabie Saoudite, Koweit, Qatar, Abu Dhabi — qui avaient tiré de leur pétrole 7 milliards de francs en 1960 et 20 milliards en 1970, vont recevoir 30 milliards en 1972...

Tant qu'il ne s'agissait que de payer, les compagnies s'en arrangeaient ; au besoin, le consommateur pouvait être appelé à faire la différence. Mais les pays arabes membres de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) n'ont pas l'intention de s'en tenir là. Le 21 janvier 1972, des négociations s'ouvraient à Genève sur une nouvelle revendication, révolutionnaire celle-là : une participation — d'au moins 20 % — des pays producteurs au capital des sociétés exploitantes !

Le seul fait que les compagnies n'aient pas repoussé toute négociation sur un sujet aussi vital pour elles, et même que certaines aient assez vite accepté le principe d'une telle participation, en dit long sur la forte position des producteurs. Ceux-ci ne cachent pas, d'ailleurs, que leur objectif final est d'obtenir une participation de 51 %, c'est-à-dire le droit de décision sur l'exploitation de leur pétrole — exactement ce que l'Algérie vient d'obtenir des compagnies françaises.

En un sens, ces revendications sont rassurantes, dans la mesure où les Arabes montrent par là même qu'ils ne cherchent pas à lancer contre l'Occident une guerre du pétrole, mais entendent rester au contraire dans le cadre du jeu capitaliste et de relations d'échange commercial. Les pays de l'OPEP le disent clairement : ce qu'ils veulent, ce n'est pas couper les vivres à l'Occident industrialisé et dévoreur de pétrole, mais se substituer progressivement aux compagnies internationales dans toute la séquence de leurs opérations, du puits à la station-service. Pour le consommateur, le risque n'est donc pas de manquer de pétrole, mais plutôt d'avoir à le payer de plus en plus cher. Les compagnies, pour leur part, se dépêchent de mettre en œuvre la seule parade à leur disposition : rechercher de nouvelles sources de pétrole, afin d'esquiver la pression des producteurs arabes.

Nouveaux gisements

L'événement de cette année est la découverte, au large de la Norvège, du gisement de Frigg, et, au large de l'Écosse, de celui de Forties, qui, après celui d'Ekofisk, maintenant en production, sont venus confirmer le potentiel pétrolier de la mer du Nord. Un gisement politiquement sûr, et à proximité des marchés de consommation, donc une aubaine, mais d'importance semble-t-il limitée : la mer du Nord, estime-t-on aujourd'hui, pourrait livrer 50 millions de tonnes en 1975, 150 millions vers 1980, ce qui ne représenterait que 10 % des besoins de l'Europe à cette époque.