Très vite, les prises de position se succédaient. Le parti communiste, le PSU, la gauche socialiste tout entière, les radicaux et, au centre, successivement le Centre démocrate de Jean Lecanuet, le PDM de Jacques Duhamel et René Pleven, les indépendants, avaient pris fermement position pour le « non ». Ils étaient bientôt imités par les syndicats ouvriers, puis par le président du Sénat, A. Poher, tandis que V. Giscard d'Estaing et une minorité de giscardiens se déclaraient « contre le oui ». Au sein de l'UDR elle-même, des parlementaires comme Marcel Prélot ou Jacques Hébert, député-maire de Cherbourg, choisissaient le non.

Le départ du général

La campagne s'engageait tardivement en raison des fêtes de Pâques, mais avec ardeur. La quasi-totalité des sénateurs, mobilisés à l'instar de leur président, prenaient la défense de leur assemblée. Des régionalistes comme R. Pleven combattaient le projet au nom de la régionalisation elle-même. Curieusement, les gaullistes eux-mêmes semblaient livrer bataille sur la défensive, comme s'ils faisaient reposer leur entreprise sur l'hypothèse d'un succès du « non ». Déjà l'opposition se partageait la peau de l'ours. Les sondages, de jour en jour, donnaient corps à l'éventualité d'un échec du « oui ».

Mais que d'excès de langage que la suite des événements devait démentir quand A. Malraux, par exemple, s'écriait : « Aucun gaulliste ne pourrait maintenir la France sur les « non » qui auraient écarté de Gaulle. » Et quand le général de Gaulle lui-même proclamait, le 25 avril, que, faute d'une réponse affirmative, le pays irait « à de désastreuses secousses» et à l'« ébranlement national ».

C'était le « non » cependant qui l'emportait, avec 53,18 % des suffrages exprimés en métropole au soir du 27 avril. La participation (19,41 % d'abstentions) avait été forte. Seize des vingt et une régions, soixante et onze départements métropolitains, presque toutes les grandes villes avaient repoussé le projet. Le « oui » ne dépassait 55 % des voix que dans trois régions, au lieu de dix-sept au référendum précédent, en octobre 1962. À zéro heure onze minutes, le 28 avril, de Colombey, le général de Gaulle annonçait laconiquement : « Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi. »

Élection présidentielle

Dans quelle mesure l'attitude adoptée par Georges Pompidou pendant les quatre mois qui ont précédé le référendum a-t-elle encouragé certains électeurs à voter « non » pour provoquer le départ du général de Gaulle ? C'est une question qui fut beaucoup débattue, mais à laquelle il ne peut être apporté de réponse satisfaisante.

Devenu Premier ministre en avril 1962, au lendemain de la conclusion de la paix en Algérie, mais non de la crise nationale provoquée par la guerre et ses conséquences, G. Pompidou avait essuyé, en six ans, bien des tempêtes. Il avait fait longtemps figure de dauphin du chef de l'État, mais on sentait, depuis les mauvaises élections de mars 1967, qu'il n'était plus aussi bien en cour. Loin d'achever de rendre sensible son usure au pouvoir, les dures journées de mai-juin lui avaient valu dans l'opinion un extraordinaire regain de popularité. Seul, il avait tenu tête et chacun voyait en lui l'organisateur de la victoire électorale de juin 1968.

Aussi son éviction avait-elle été ressentie comme une injustice. On n'avait pas discuté longtemps sur le point de savoir si cette mise « en réserve de la République », selon la formule du général de Gaulle lui-même le 9 septembre, était une disgrâce ou une sorte de retraite avant la promotion au rang de successeur. Car il était très vite apparu que le général de Gaulle songeait peu à son propre départ.

« Un destin national »

Certes, pendant six mois, G. Pompidou s'était tenu à son rang modeste de député de la 2e circonscription du Cantal. L'autorité personnelle, le prestige dont il disposait, il les avait mis sans zèle excessif, mais sans fausse note, au service du gouvernement, intervenant auprès des députés UDR et dans le mouvement gaulliste pour aplanir les difficultés, faciliter le vote, puis l'application de la loi d'orientation universitaire et l'adoption du budget, calmer les impatiences, rassurer les alarmes. Après un semestre de bons offices et de silence, il montre qu'il n'entend pas cependant être oublié et sort de sa réserve ; à Rome, le 17 janvier, il déclare qu'il briguera, « le moment venu », la succession du général de Gaulle ; cinq jours plus tard, le président de la République réplique durement en faisant savoir qu'il a « le devoir et l'intention » de remplir son mandat jusqu'à son terme. Le 13 février, à la télévision suisse, l'ancien Premier ministre récidive : « J'aurai, peut-être, si Dieu le veut, un destin national... » Et il agit, parle, à partir de ce moment, comme un futur chef d'État. S'il participe à la campagne du référendum à la télévision, c'est sans flamme et comme par devoir.