La politique sociale, elle aussi, connaîtra de semblables dents de scie. Les grèves de la fonction publique et du secteur nationalisé seront si nombreuses dans la première période que ces démonstrations feront l'objet, en 1963 et 1964, d'un ensemble de mesures visant d'une part à réglementer les arrêts de travail (préavis de cinq jours), d'autre part à établir une procédure de consultation et de répartition des améliorations des salaires (Commissions Toutée-Grégoire). Ce double dispositif fonctionnera tant bien que mal jusqu'en 1968, où il sera emporté au grand vent de mai. Cependant, la réforme sociale fondamentale, inspirée de la doctrine gaulliste d'« association capital-travail », rebaptisée « participation », donnait lieu à d'innombrables discours, à beaucoup de promesses, à plusieurs tentatives de mise en forme, qui ne se traduisaient finalement que par des discussions sans conclusion ou des mesures de portée pratique très limitée.

Au passif, le logement, le téléphone, les autoroutes, une fiscalité désordonnée et opprimante — avec la TVA mal calculée —, la recherche scientifique et technologique, la spéculation. À l'actif, les progrès de l'équipement scolaire, universitaire, et sanitaire, l'amorce du remodelage de la France par l'aménagement du territoire, la prise en charge de la régionalisation, même si elle a avorté, des recherches intéressantes sur les transports de demain, les efforts, pas toujours heureux, pas toujours couronnés de succès, tentés pour équiper l'agriculture, modifier la mentalité paysanne, ordonner les marchés des produits de la terre, tenir les cours, organiser la production et son écoulement dans le cadre européen, mieux garantir les ruraux contre les calamités et contre les crises. Et aussi, dans d'autres domaines, pour transférer à la route une partie des investissements du chemin de fer, au gaz et à la chimie une partie des dépenses des Charbonnages, concentrer le trafic maritime dans quelques grands ports, lancer quelques grandes réalisations. Bref, un bilan dont il n'y a pas à rougir ni à se glorifier, une gestion sans audace ni imagination, mais prudente et souvent avisée, qui a tant bien que mal assuré le court terme en compromettant quelquefois l'avenir. Rien qui justifie en tout cas les réquisitoires des adversaires ni les cris de triomphe des partisans.

La régionalisation

Si l'on a beaucoup usé et abusé du mot de « révolution » au cours de ces années, il est au moins une réforme qui eût constitué, si elle n'avait pas été caricaturée dans les projets et finalement rejetée par le pays telle qu'elle lui était présentée, un véritable bouleversement de la vie nationale : la régionalisation.

C'est une grande idée, qui touche, en fait, à tous les aspects et à tous les secteurs. Politique : la création d'entités régionales dotées progressivement d'un exécutif et d'un législatif, disposant de ressources propres et de pouvoirs étendus, transformerait peu à peu les relations du citoyen et du pouvoir, leur vision réciproque et finalement la nature même des institutions. Administratif : la déconcentration et la décentralisation depuis si longtemps prônées sont devenues maintenant des nécessités vitales. Économique et social : un développement harmonieux de chaque partie de l'ensemble français est indispensable au progrès national et il fixera la vraie place de la France dans la construction européenne en devenir. Humain : une telle réforme, si elle est prudemment et démocratiquement conduite, devrait faciliter l'épanouissement de la personnalité régionale et ainsi offrir à chaque citoyen un cadre d'action, de carrière, de pensée, où il se sente à l'aise.

L'erreur des auteurs du projet présenté au référendum d'avril 1969 a été d'abord de ne pas oser : ils ont gardé le découpage artificiel en vingt et une régions, repris d'une main ce qu'ils concédaient de l'autre et déçu les partisans les plus mesurés de la réforme, sans éviter les critiques des adversaires. Puis, ils ont mêlé à la transformation du Sénat, que les sénateurs eux-mêmes étaient prêts à envisager, des éléments politiques purement circonstanciels qui paraissaient soit tendre à un renforcement du pouvoir présidentiel, soit assouvir une vieille querelle, ou confier toute évolution ultérieure des institutions à leur gardien et garant. Enfin, la procédure choisie, la désinvolture manifestée à l'égard de l'opinion saisie des plaidoyers avant d'avoir même connaissance du dossier, ont achevé de choquer. L'échec ainsi provoqué ne ruine pas une réforme qui est maintenant si présente à l'esprit de tous que son principe et sa nécessité sont unanimement admis.

L'université, la jeunesse

Deux thèses, en gros, étayent deux explications diamétralement opposées des journées de mai-juin 1968, dont le souvenir infléchit désormais et infléchira longtemps toute politique de l'enseignement et de la jeunesse.