Dans sa lutte pour l'obtention d'une plus grande autonomie, la province francophone s'est trouvée relativement paralysée par la mort subite, le 26 septembre 1968, de son Premier ministre, Daniel Johnson, mort d'une crise cardiaque le jour de l'inauguration du fameux barrage de Manicouagan.

Son successeur, Jean-Jacques Bertrand, ancien ministre de la Justice, ne bénéficie pas de la même popularité ; il fait davantage figure de Premier ministre provisoire que de leader incontesté.

On le dit plus soucieux de temporiser que d'engager un combat décisif avec Ottawa.

Le congrès extraordinaire

Assez vite, ces jugements se révèlent faux. S'il n'a pas la stature et l'influence d'un Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand refuse de n'être qu'un homme de transition. On en est certain au mois de mars 1969, lorsqu'il annonce qu'il briguera officiellement la direction du parti — donc du gouvernement — lors du congrès extraordinaire de l'Union nationale, les 14 et 15 juin 1969.

Politicien traditionnel, relativement modéré en fait sur le problème québécois, Bertrand a battu Jean-Guy Cardinal, ministre de l'Éducation et Premier ministre adjoint de la province. C'est une querelle de génération : beaucoup plus jeune que Jean-Jacques Bertrand, Jean-Guy Cardinal, ancien doyen de la faculté de droit de Montréal, se classe parmi les jeunes-turcs de l'Union nationale. Plus nationalistes que les politiciens traditionnels, ils sont prêts à aller beaucoup plus loin dans la lutte contre Ottawa.

Pour eux, le mot indépendance n'est pas une simple menace. Leur attitude à l'égard des séparatistes est révélatrice : alors que Jean-Jacques Bertrand n'a pas hésité à condamner vigoureusement les attentats dus à des terroristes québécois, enregistrés en 1968-1969, un homme comme Jean-Guy Cardinal s'est refusé à le faire aussi nettement, même s'il interdit de prôner la sécession de la province du Québec.

Le courant indépendantiste

La paralysie relative dont a été atteinte l'Union nationale à la suite de la mort de Daniel Johnson a pourtant renforcé sinon le courant indépendantiste québécois, du moins le courant autonomiste.

Cette consolidation se traduit en octobre 1968 par la fusion des trois partis prônant à des degrés divers l'autonomie du Québec : le Ralliement national (RN), le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) et le Mouvement souveraineté-association (MSA). Ce sont, en définitive, les éléments les plus réalistes qui prennent la direction de la nouvelle formation — le Parti québécois — puisque c'est René Levesque, ancien ministre libéral de la province et ancien leader du MSA, qui en assume la présidence.

Le maintien — sinon l'extension — de la force du courant autonomiste québécois s'est également traduit par le développement d'une campagne en faveur de l'unilinguisme (francophone) au Québec. Cette campagne a entraîné divers incidents dans des écoles de Montréal, ainsi qu'à l'université anglophone McGill (également à Montréal). Le Québec est jusqu'à présent, en effet, la seule province canadienne respectant effectivement le bilinguisme : si les anglophones peuvent, par exemple, élever leurs enfants dans la langue anglaise à Montréal, la réciproque n'est pas vraie pour les francophones des autres provinces.

L'agent français au Manitoba

La politique étrangère du Canada a été dominée par deux éléments en 1968-69 : les rapports souvent agités avec Paris et le réexamen global des engagements internationaux du pays.

Pierre Elliott Trudeau n'avait pas caché, avant d'être nommé Premier ministre, son irritation devant les ingérences du général de Gaulle dans la politique intérieure canadienne. On s'attendait à un affrontement rapide. Il vient sans tarder. Quelques semaines seulement après avoir stigmatisé dans une conférence de presse les « thèses rétrogrades » du général de Gaulle sur l'avenir du Canada, le Premier ministre dénonce l'action d'« un agent français plus ou moins secret » au Manitoba.

L'affaire fait long feu. Après enquête et mise au point du gouvernement français, on apprend que le gouvernement canadien avait été tenu au courant du voyage de l'« agent français » et qu'il s'agissait de Philippe Rossillon, rapporteur du Haut Comité pour la défense et l'expansion de la langue française.

Le contentieux en suspens

Conscient d'avoir agi avec quelque précipitation et d'avoir mal choisi son cheval de bataille, Trudeau fait quelque peu marche arrière. Et lorsque Maurice Couve de Murville se rend au Québec pour les obsèques de Daniel Johnson, les deux Premiers ministres se rencontrent longuement, éclaircissant bien des malentendus.