L'année de l'après-gaullisme

Un an après le triomphe électoral du gaullisme le 30 juin 1968, conclusion inattendue de la crise de mai, le visage de la Ve République avait davantage changé qu'au cours des onze années précédentes. Le général de Gaulle, fondateur et chef du régime, s'était retiré. Son ancien Premier ministre, Georges Pompidou, était Installé à l'Élysée. Jacques Chaban-Delmas dirigeait un gouvernement dans lequel figuraient, à côté des gaullistes, des centristes comme René Pleven et Jacques Duhamel, et aussi, renonçant au « oui mais », V. Giscard d'Estaing. L'Assemblée nationale était présidée par Achille Peretti, le Sénat par Alain Poher. Aucun de ces huit hommes n'était à cette place douze mois auparavant.
Le ton et l'esprit avaient été, eux aussi, largement renouvelés : au lieu de promettre « l'ordre et les réformes », comme son prédécesseur, le nouveau président de la République parlait de « continuité et changement », le nouveau Premier ministre de « réconciliation et d'ouverture ». Sauf les communistes, sortis à peu près indemnes, mais isolés, de la bataille, l'opposition était démantelée, la gauche socialiste en miettes, le centre déchiré. Rarement le sentiment qu'une page venait d'être définitivement tournée avait été aussi net et aussi fortement ressenti. En quelques semaines, sans troubles ni chaos, la France était entrée dans l'après-gaullisme.

Les historiens feront sans doute remonter aux élections législatives de mars 1967 la rupture morale des Français avec de Gaulle et le début du déclin de son règne. Cette consultation, en effet, qui voyait le retour en force de l'opposition, montrait à l'évidence que le « sacrilège » du ballottage de l'élection présidentielle de décembre 1965 n'était pas un simple incident technique, mais bien l'amorce d'un reflux. Dès lors, chaque événement et aussi bien la guerre des Six-Jours du Moyen-Orient que le voyage présidentiel au Québec, les nouveaux refus opposés à l'adhésion britannique au Marché commun ou les débats monétaires occidentaux, provoquait d'interminables polémiques dans lesquelles le général était mis en question. Mais ce sont évidemment les événements de mai-juin 1968, avec les hésitations, les erreurs d'appréciation, la dramatisation extrême du chef de l'État, qui, malgré le redressement final de la situation, devaient accélérer décisivement, tout en la masquant pour un temps encore, la dégradation de la situation intérieure.

Une nouvelle Assemblée à l'écrasante majorité gaulliste élue le 30 juin (Journal de l'année 1967-68), un nouveau gouvernement dirigé par Maurice Couve de Murville mis en place le 10 juillet : la première tâche est d'effacer les séquelles de la crise de mai, d'empêcher la poursuite de l'agitation étudiante, de remédier au malaise social, de panser les plaies de l'économie, de restaurer la monnaie.

La législature débute dès le mois de juillet par une amnistie concernant essentiellement les crimes et délits commis à l'occasion des événements d'Algérie. Puis un premier débat sur la réforme de l'enseignement donne au ministre de l'Éducation nationale, Edgar Faure, l'occasion d'annoncer une « révision déchirante » dans ce domaine. Pendant ce temps, l'évacuation des facultés occupées par les contestataires se poursuit sans incidents, et si de nouvelles manifestations se produisent au Quartier latin, à la suite de l'arrestation de neuf animateurs de mouvements gauchistes inculpés de reconstitution de ligues dissoutes, l'été sera relativement calme.

La loi d'orientation

À la rentrée, après que le président de la République eut tiré en un mot, toujours le même — participation —, la leçon de la crise à sa conférence de presse du 9 septembre, le Parlement entreprend l'examen de la loi d'orientation de l'enseignement supérieur, qui sera votée le 11 octobre par 441 voix contre 0 et 39 abstentions. L'agitation étudiante se manifeste par quelques brèves flambées, parfois violentes, le centre de l'effervescence se déplace de plus en plus des facultés vers les lycées, où les CAL (Comités d'action lycéens) multiplient les incidents. Les élections des conseils d'université, la mise en place de la réforme et, en fin d'année, les examens traditionnels se déroulent tant bien que mal.