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Triomphe du comique et de l'action

Que l'on soit ou non sensible aux grimaces de Louis de Funès, le fait est là, indiscutable : il est actuellement le seul acteur français qui puisse se flatter de conduire à coup sûr un film au succès.

Le prodigieux triomphe de la Grande Vadrouille ne s'est pas renouvelé cette année, mais le peloton de tête des exclusivités parisiennes comprend les trois films où apparaît de Funès : les Grandes Vacances, Oscar et le Petit Baigneur.

La critique n'a aucun rôle à jouer pour ce genre de films qui se veulent essentiellement divertissants, y parviennent parfois et flattent le goût d'un public acquis d'avance à sa cause. Pourtant Oscar, d'Edouard Molinaro, adapté d'une pièce de boulevard qui a fait, il y a peu, les beaux soirs du théâtre parisien, apparaît comme une réussite mineure dans un genre dont le plus grave défaut est de ne pas savoir toujours éviter la vulgarité.

Le paresseux

Le phénomène de Funès prend les proportions d'un raz de marée national. Cela ne devrait pas laisser indifférents les metteurs en scène plus ambitieux. On ne fera croire à personne que la réconciliation de l'art et du tiroir-caisse est chose impossible dans le domaine périlleux du film comique.

Derrière de Funès, le peloton des amuseurs s'effrite : Bourvil et Robert Hirsch n'ont pu sauver, par leur seule présence, le scénario par trop filandreux des Cracks d'Alex Joffé, qui a été parfois mieux inspiré. Mais Bourvil est peut-être au fond un acteur dramatique (rappelons-nous les Grandes Gueules) qui s'ignore ou, ce qui est plus vraisemblable, qu'on ignore.

Pourtant, un acteur qu'à vrai dire on n'attendait pas dans ces parages fantaisistes a conduit au succès Alexandre le Bienheureux, d'Yves Robert. Philippe Noiret compose un portrait savoureux de paresseux, et s'impose du même coup comme une nature très éclectique du cinéma français.

Le grand film comique de l'année, on a cru le tenir avec Playtime, que Jacques Tati fignolait depuis plus de deux ans et qui, à en juger par le scénario, devait être une satire mordante de la société contemporaine. On espérait les Temps modernes. La déception n'en a été que plus amère.

Une production d'un milliard et demi (d'anciens francs), cela laisse rêveur ; n'y a-t-il pas de la mégalomanie dans la tête de Monsieur Hulot ? On n'a aucun droit de tenir rigueur à un artiste qui veut bâtir une superproduction en 70 mm avec son stéréophonique, si le jeu en vaut la chandelle. Playtime, malgré d'importantes coupures faites par l'auteur lui-même, est une œuvre pesante, borborygmique, et, ce qui est plus grave, dépourvue d'humour.

L'ex-« nouvelle vague »

La nouvelle vague des années 60 se porte très bien. Alain Resnais dans Je t'aime je t'aime, François Truffaut dans La mariée était en noir, Claude Chabrol dans les Biches, J.-L. Godard dans la Chinoise et Week-end ont signé des œuvres de tout premier plan.

À François Truffaut revient le mérite d'avoir égalé Hitchcock sur le plan de l'intrigue et d'avoir incontestablement dépassé son maître sur le plan de la sensibilité. La mariée était en noir offre à Jeanne Moreau un rôle unique de Némésis impitoyable qui assouvit sa vengeance avec un inquiétant esprit de méthode. La grandeur de Truffaut est de n'être jamais gratuitement cruel, jamais faussement désinvolte : sa virtuosité est justement de ne jamais la souligner avec insistance.

La cohérence

Les Biches est certainement le meilleur film de Chabrol depuis l'Œil du Malin.

Claude Chabrol ne se contente donc plus de jouer à l'amateur de canulars. Le voilà aux prises avec un scénario qui ne manque pas de finesse, et avec des acteurs — notamment sa propre épouse, Stéphane Audran — tout à fait remarquables. Sa mise en scène, à la fois souple et oppressante, convient parfaitement à la description de ces jeux pervers auxquels se livre une faune riche et désœuvrée entre Paris et Saint-Tropez.

Quant à Jean-Luc Godard, il nous a offert ses deux films annuels. Deux films et demi, si l'on veut bien se souvenir de sa participation à Loin du Viêt-nam. Avec la Chinoise, il réussit à s'attirer les lazzi des prochinois et des antichinois. Avec Week-end, il a une nouvelle fois fait tomber en pâmoison ses thuriféraires et déchaîné la meute des antigodardiens.