Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Marie Ire Tudor (suite)

Le mariage espagnol

Mais, sur une question au moins, elle révéla d’emblée son caractère inflexible : celle de son mariage. Deux partis se dessinaient en l’occurrence : un mariage avec un grand seigneur anglais ou un mariage espagnol. La première solution était désirée par l’opinion anglaise unanime et favorisée par la France. Il y avait un candidat : Edward Courtenay (v. 1526-1556), soutenu par les conseillers de Marie, surtout par l’évêque de Winchester, Stephen Gardiner. Mais Marie n’en voulait pas : son intention profonde était d’épouser un Espagnol ; par l’intermédiaire de l’ambassadeur de Charles Quint, Simon Renard, elle négocia son mariage avec Philippe, le fils de l’empereur, le futur Philippe II.

La décision fut longtemps gardée secrète sur les conseils de Renard lui-même, qui craignait l’impopularité d’une telle union.

Le 14 janvier 1554, cependant, le chancelier Gardiner l’annonça au Parlement : Philippe aurait le titre de roi et jouerait un rôle dans le gouvernement : mais seule Marie disposerait des bénéfices ecclésiastiques et des fonctions administratives ; les droits et coutumes anglaises resteraient intactes, et l’Angleterre ne ferait pas la guerre à la France. Malgré cela, cette annonce fut mal accueillie : dès la fin du mois se déclencha la révolte de sir Thomas Wyat (v. 1521-1554), qui marcha sur Londres et mit en péril le gouvernement pendant quelques jours. La répression fut terrible : Wyat et plusieurs centaines de rebelles furent exécutés, tandis que Jeanne Grey, son mari et son père (Henry Grey, duc de Suffolk) étaient décapités. Courtenay et la princesse Élisabeth, dernier espoir de toute l’Angleterre protestante, furent très sérieusement inquiétés. Enfin, le 25 juillet 1554, put être célébré, avec toute la pompe désirable, le mariage de Philippe et de Marie.


La politique religieuse

Marie n’avait pas attendu son mariage pour se consacrer à son grand dessein, le retour de l’Angleterre dans le giron de l’Église catholique romaine. Dès l’automne de 1553, des mesures contre les prédicateurs protestants avaient déterminé plusieurs protestants étrangers (Bernardin de Sienne [Ochino], Pierre Martyr [Pier Martire Vermigli], Jan Łaski) ou anglais (John Knox) à s’exiler.

Le Parlement, dans sa session d’automne 1553, révoqua la législation religieuse d’Édouard VI et, à la session de printemps 1554, approuva le déplacement des évêques protestants, accusés d’être mariés, et leur remplacement par d’ardents catholiques (Cuthbert Tunstall, Edmund Bonner), tandis que l’archevêque Thomas Cranmer, l’artisan du divorce d’Henri VIII, Nicholas Ridley et Hugh Latimer, accusés d’hérésie, étaient arrêtés. Sur deux points, par contre, la reine n’obtint rien : celui des restitutions de biens à l’Église et celui de la suprématie ; aucun Anglais ne voulait voir l’Église d’Angleterre retomber sous la tutelle de Rome.

Le mariage de Marie et surtout l’arrivée en Angleterre du cardinal Reginald Pole (1500-1558), l’un des animateurs du concile de Trente et de la Contre-Réforme italienne, permirent à la reine d’intensifier son action. Le Parlement, dans sa session de l’automne 1554, redonna force aux vieilles lois médiévales contre l’hérésie. Pendant que Pole, en présence de Philippe et de Marie, absolvait au cours d’une magnifique cérémonie l’Angleterre du péché du schisme, les poursuites contre le clergé protestant commençaient, surtout sous l’impulsion de Pole et de Bonner, Gardiner se montrant en l’occurrence fort modéré. Dès février-mars 1555, plusieurs docteurs protestants (John Rogers, John Hooper, Robert Ferrar, etc.) furent brûlés vifs. En octobre, ce fut le tour de Ridley et de Latimer : l’exécution de Cranmer n’eut lieu qu’en mars 1556, car on voulait obtenir de lui qu’il adjurât le protestantisme. Jusqu’à la fin du règne, il devait y avoir ainsi plus de trois cents martyrs.


L’échec de Marie

L’effet de ces exécutions fut désastreux : l’opinion anglaise fut presque unanime à les condamner. De plus, Marie ne pouvait même pas retirer tous les avantages de sa politique, car, en mai 1555, le cardinal Gian Pietro Carafa, ennemi intime de Pole et de Charles Quint, devenait le pape Paul IV et retirait à Pole ses attributions de légat.

Sur le plan administratif, Gardiner avait entrepris une œuvre utile d’assainissement des finances royales : mais sa mort, en novembre 1555, privait Marie du meilleur de ses conseillers. Son remplaçant, l’évêque Nicholas Heath (v. 1501-1578), n’était qu’un médiocre. Mais c’est sur le plan plus intime que l’échec de Marie fut le plus grave : dès 1555, elle se crut enceinte ; des Te Deum furent célébrés dans tout le pays. En réalité, Marie venait de ressentir les premières atteintes du mal qui devait l’emporter, probablement un cancer de l’utérus. Lorsqu’il fut convaincu que son épouse ne pourrait lui donner d’enfants, Philippe s’empressa de repasser sur le continent, soulagé de s’éloigner d’une femme laide et de dix ans son aînée. S’il revint quelques mois en 1557, ce ne fut que pour entraîner l’Angleterre dans une guerre avec la France : ce qui permit à François, duc de Guise, d’enlever Calais à l’Angleterre en janvier 1558. Et la diplomatie impériale s’avéra incapable de faire rendre à l’Angleterre ce qu’elle avait perdu de son fait.

Pendant ce temps, la maladie progressait rapidement : la Cour se détournait de Marie ; tous regardaient vers Élisabeth, à commencer par Philippe, qui faisait demander à cette dernière ce qu’elle penserait d’un mariage avec lui. Le 17 novembre 1558 mouraient le cardinal Pole et, abandonnée de tous, Marie Tudor.

J.-P. G.

➙ Angleterre / Grande-Bretagne / Henri VIII / Philippe II d’Espagne / Tudors (les).

 D. M. Henderson, The Crimson Queen, Mary Tudor (New York, 1933 ; trad. fr. la Reine Marie Tudor, Payot, 1934). / B. M. I. White, Mary Tudor (Londres, 1934). / H. F. M. Prescott, Spanish Tudor. The Life of Bloody Mary (Londres, 1940 ; nouv. éd., Mary Tudor, 1953). / J. D. Mackie, The Earlier Tudors, 1485-1558 (Oxford, 1952).